L'annonce par le président français Emmanuel Macron d'une nouvelle taxe sur la vente de livres d'occasion pour protéger les livres neufs est la dernière proposition d'un gouvernement ayant l'habitude d'intervenir dans le secteur de l'édition pour le maintenir à flot.
Alors que le marché du livre d'occasion est en plein essor en France, l'association Emmaüs – dont un tiers des revenus en ligne proviennent du livre – tire la sonnette d'alarme face à la concurrence déloyale des e-commerçants.
Macron a proposé d’ajouter une taxe sur la vente de livres d’occasion, ce qui, selon lui, aiderait les éditeurs, les auteurs et les traducteurs.
S'exprimant lors du salon annuel du livre de Paris le week-end dernier, Macron a déclaré que les livres d'occasion – dont la plupart sont vendus sur les principales plateformes de vente au détail en ligne comme Amazon – constituaient une menace concurrentielle pour le prix des livres neufs en France.
La ministre de la Culture, Rachida Dati, détaillera ultérieurement le fonctionnement de cette contribution, a-t-il ajouté.
Le Président de la République @EmmanuelMacron et la première dame Brigitte Macron ont visité ce matin le @festival_livre en compagnie du ministre de la culture @datirachida 📚🌞@VincentMontagne @helenedorion @PasseJb @xavierduplouy @ConandHelene @MinistereCC @Elysée @ANEL_QE pic.twitter.com/HLk1nU8oye
— Syndicat national de l'édition (@SNEedition) 12 avril 2024
Les livres d'occasion en hausse
Les livres d'occasion sont en concurrence avec les éditeurs, avec des prix plus bas, devenus plus attractifs en période d'inflation.
Une étude du ministère de la Culture et de l'association française des droits d'auteur Sofia publiée au début du mois révèle que le nombre de personnes achetant des livres d'occasion augmente, tandis que le nombre de ventes de livres neufs reste stable.
Près de 20 % des livres vendus en 2022 étaient d’occasion, même si leur valeur marchande est bien inférieure en raison de leurs prix plus bas.
Selon certaines estimations, le marché du livre d'occasion s'élève à 888 millions d'euros, contre 4,3 milliards d'euros pour le marché des livres neufs.
Les raisons qui poussent les consommateurs à acheter des livres d'occasion sont motivées par le prix, et non par des préoccupations environnementales, qui pourraient inciter à acheter d'autres types d'articles d'occasion.
La taxe ne devrait pas affecter le prix
Le président du Syndicat des éditeurs français, le SNE, estime qu'une taxe sur les livres d'occasion serait minime.
Le marché du livre d'occasion est dominé par « de grands acteurs internationaux qui ne paient pas d'impôts en France », a déclaré la semaine dernière Vincent Montagne sur France Culture, faisant référence aux plateformes de vente en ligne comme Amazon, Rakuten ou eBay.
La taxe ne s'appliquerait qu'à eux, a-t-il déclaré, et non aux vendeurs indépendants de livres d'occasion, comme le bouquinistes le long de la Seine à Paris, ou des boutiques caritatives.
Les éditeurs français protègent leur marché, car ils ont le droit de fixer le prix de vente de leurs livres – y compris les livres électroniques – et les vendeurs ne peuvent pas offrir plus de cinq pour cent de réduction sur le prix de vente.
Cela vient d'une loi de 1981 adoptée en réponse à la menace posée aux librairies par la chaîne de magasins Fnac et les grands supermarchés, qui offraient des réductions sur les livres que les petits magasins ne pouvaient pas offrir.
Concurrence déloyale
Mais le marché du livre d'occasion n'est pas soumis aux mêmes règles, et certains revendeurs craignent de ne pas pouvoir rivaliser face aux détaillants en ligne.
L’association Emmaüs, qui a commencé à vendre des articles d’occasion en ligne via sa plateforme en ligne Label Emmaüs en 2016, a lancé une campagne dénonçant ce qu’elle considère comme une « concurrence illégale » de la part de plateformes comme Amazon, mais aussi Shein, Temu et Ali-Express.
Un tiers des ventes sur la plateforme en ligne de l'association sont des livres d'occasion, et le nombre de visiteurs a chuté de 20 % début 2024.
Baptisée « Tous nos livres sont égaux », la campagne juxtapose les couvertures de deux biographies, celle de l'abbé Pierre, fondateur d'Emmaüs, et de Jeff Bezos, PDG d'Amazon.
La réalisatrice Maud Sarda attribue la baisse des ventes à l'inflation, mais aussi aux stratégies « néfastes » des plateformes, notamment une publicité constante, une livraison de plus en plus rapide et une baisse des prix.
Le mois dernier, l'Assemblée nationale a adopté un projet de loi visant à rendre la fast fashion moins attrayante, comprenant notamment l'interdiction de la publicité pour les vêtements les moins chers et l'ajout d'une taxe environnementale sur les articles à bas prix. Le Sénat n'a pas encore voté sur la proposition.
Sarda aimerait voir des lois qui interdiraient la livraison gratuite, ce qui est interdit pour les commandes de livres neufs de moins de 35 € depuis l'année dernière.
Il est important d'agir, dit Sarda, sinon le modèle Emmaüs de consommation durable sera compromis.
« Il y a urgence à lutter contre ces pratiques commerciales néfastes et à privilégier les solutions (de consommation) durables et équitables, qui risquent, sinon, de disparaître bel et bien. »