Née en 1884 à Nantes, dans l'ouest de la France, Alice Milliat était une rameuse et une nageuse passionnée qui, en 1922, a créé les Jeux Olympiques féminins à Paris. Un peu plus de 100 ans plus tard, les Jeux de cet été seront les premiers à voir concourir autant d'athlètes féminines que d'hommes.
Jeune femme, Milliat – née Alice Million, de parents ouvriers – a passé du temps en Angleterre, où elle a épousé Joseph Milliat, également originaire de Nantes.
Là-bas, Milliat s'est mis à l'aviron. Après la mort de son mari en 1908, elle a beaucoup voyagé, perfectionnant ses compétences linguistiques qui lui ont permis de devenir traductrice.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, elle rentre en France.
En 1915, elle prend la direction du Fémina Sport, un club sportif féminin de Paris, où elle est une passionnée d'aviron.
Stéphane Gachet, biographe de Milliat, affirme que la guerre a créé une ouverture unique pour les femmes – car « les hommes avaient libéré leur place dans les foyers, dans les usines et sur les terrains de sport ».
Mais il était encore difficile pour les femmes de participer à des compétitions sportives, ce qui allait à l'encontre des normes imposées par la religion et même par certains médecins au début du XXe siècle.
« Une femme ne devait pas se déshabiller ni s’exposer en public. Il fallait absolument qu'elle se préserve. Son seul objectif était d'avoir des enfants », a déclaré Gachet à 42mag.fr.

Les femmes aux commandes
Si les sportives ont été admises pour la première fois aux Jeux olympiques en 1900, elles étaient cantonnées aux épreuves dites féminines : tennis, voile, croquet, équitation, mais certainement pas d'athlétisme.
Avec son esprit d'entreprise, Milliat croyait que pour changer les choses, les clubs féminins devaient être dirigés par des femmes.
En 1919, elle devient directrice de la Fédération française des sociétés sportives féminines (FSFSF), qui organise des compétitions d'athlétisme, de basket-ball, de football, de rugby et de hockey.
Mais lorsque Milliat demanda au Comité International Olympique d'inclure les épreuves d'athlétisme féminin aux prochains Jeux Olympiques, sa demande se heurta au refus de son président de l'époque, l'aristocrate français Pierre de Coubertin.
« Personnellement, je n'approuve pas la participation des femmes aux concours publics », avait-il déclaré à l'époque dans un discours public. « Aux Jeux Olympiques, leur rôle devrait avant tout être de couronner les vainqueurs. »
En 1921, Milliat organisa à Monte-Carlo un événement sportif international réunissant des athlètes féminines de France, de Grande-Bretagne, d'Italie, de Norvège et de Suède.
Peu de temps après, elle fonde la Fédération internationale sportive féminine (FSFI). L'organisation a créé les premiers Jeux mondiaux féminins à Paris en 1922, deux ans avant que Paris n'accueille les Jeux olympiques d'été.
Le succès fut immédiat et dura jusqu'à la quatrième et dernière édition en 1934.
« On rapporte qu'il y avait plus de 20 000 spectateurs dans les stades », précise Gachet.
Trop longtemps oublié
Mais la guerre allait encore une fois déterminer la tournure des événements. Dans les années 1940, sous le régime pro-nazi de Vichy, la plupart des efforts de Milliat furent anéantis puisque les femmes furent à nouveau interdites de pratiquer des sports dans les compétitions publiques.
«C'est comme si le sport des années 20 et 30 n'avait jamais existé», dit Gachet.
Au cours de ses dernières années, Milliat se tourna vers le travail de traduction et de secrétariat jusqu'à sa mort en 1957.
« Sa tombe est étonnamment simple et modeste », dit Gachet à propos du lieu de repos de Milliat à Nantes.
Jusqu’en 2020, son nom n’était même pas inscrit sur la pierre tombale.

Mais depuis, des efforts ont commencé pour obtenir une plus grande reconnaissance.
Juste à côté du cimetière où repose Milliat se trouvent une école maternelle et primaire en construction. « Ce sera la première école en France à porter le nom d'Alice Milliat », précise Gachet, également membre du conseil régional de la région.
Parallèlement à Paris, l'association Féministes dans la ville a lancé des visites guidées avec le soutien de la Fondation Alice Milliat.
L'un des sites qu'ils visitent est le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), situé dans le 14e arrondissement de Paris.
« Il y a deux statues qui trônent ici dans le hall du CNOSF », souligne Sonia, l'une des guides.
« À droite, nous avons le baron Pierre de Coubertin. Et à gauche, c'est Alice Milliat. Ce fut une longue bataille. Il lui a fallu sept longues années pour rester ici.
Sortir de l'ombre
Caroline, l'une des participantes à une récente tournée, affirme qu'il est essentiel de sortir l'histoire de Milliat de l'ombre.
« Nous avons besoin de plus de femmes dans les fédérations ; nous avons aussi besoin de plus d’argent, car aujourd’hui, le financement n’est pas du tout équivalent à ce que reçoivent les hommes.
« Bref, on est encore loin d’avoir une équité dans la pratique sportive entre hommes et femmes », estime-t-elle. « Alors le combat continue !

Aux JO de Paris cet été, pour la première fois dans l'histoire des Jeux, il y aura exactement le même nombre de femmes que d'hommes en compétition – 5 250 précisément.
Tess Harmand, directrice générale de la Fondation Alice Milliat, créée en 2016 pour promouvoir le sport féminin, prévient que malgré toutes les bonnes nouvelles, la société doit rester vigilante.
« Nous espérons que cet intérêt pour Alice Milliat ne diminuera pas après les Jeux. Nous espérons que toutes les actions que nous menons pourront se poursuivre bien au-delà des Jeux olympiques », dit-elle.
« Parce que le sport reste un formidable outil pour changer les mentalités et pour créer plus d’égalité dans la société. »
Cette histoire est adaptée d'un reportage original en français de Baptiste Coulon de 42mag.fr.