Chaque année, Paris et sa banlieue organisent une nuit blanche de culture Nuit Blanche – littéralement « nuit blanche » – où la ville accueille un cocktail d’art, de performances et de découvertes. L’édition de cette année, qui se déroulera samedi, célèbre le métissage des cultures dans les territoires d’outre-mer français, des Caraïbes au Pacifique et partout ailleurs.
La commissaire d’exposition Claire Tancons a passé l’après-midi dans un entrepôt de Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, pour vérifier les dernières finitions d’une des œuvres d’art qui seront exposées au Musée d’art contemporain de Paris de cette année. Nuit Blanche.
« Le tableau d’Edgar Arceneaux est en train de sécher, et j’espère que demain le temps se maintiendra », confie-t-elle à 42mag.fr par téléphone, en faisant référence à une toile métallique de l’artiste américain qui servira de scène extérieure à un spectacle au coucher du soleil dans les anciennes arènes romaines de Montmartre.
Basé en Californie et issu d’un héritage créole, Arceneaux s’est associé à l’acteur Alex Barlas pour explorer le lien historique de la France avec les Amériques et son impact sur la diaspora d’aujourd’hui, dans une pièce intitulée Le miroir c’est toi.
Ce n’est qu’un des cent événements concoctés pour ce vaste événement éphémère, qui débute à 19h le samedi et dure toute la nuit.

Le thème de cette année est l’outre-mer français – un vaste patchwork de territoires et de cultures, s’étendant des Caraïbes à l’océan Indien jusqu’au Pacifique Sud.
« Compte tenu de ce que nous savons de la géopolitique contemporaine, je ne suis pas d’humeur à faire la fête », admet Tancons.
Elle fait référence à des situations tendues dans plusieurs territoires d’outre-mer français, notamment la sécheresse en Martinique, la résorption des bidonvilles à Mayotte, le soulèvement et la répression en Nouvelle-Calédonie et le couvre-feu pour les mineurs en Guadeloupe.
Née et élevée en Guadeloupe elle-même, mais ayant voyagé et travaillé la majeure partie de sa vie d’adulte ailleurs, Tancons a compris qu’il serait impossible d’éviter la politique d’un tel thème.
En tant que commissaire d’exposition, elle a cherché à trouver des projets qui apporteraient une perspective historique aux problèmes contemporains.
En considérant la situation à plus long terme, on s’aperçoit que les problèmes rencontrés par les territoires d’outre-mer ne sont « pas leurs problèmes, mais ceux de tout le monde », dit-elle.
Des histoires enchevêtrées
Les pièces sélectionnées par Tancons cherchent à rappeler au public le lien entre la France métropolitaine et ses territoires lointains, qui, selon elle, sont trop souvent relégués à la périphérie de l’imaginaire français.
« Nous avons tendance à penser : « oh, il se passe quelque chose là-bas ». Nous ne savons pas pourquoi ils se rebellent, ils veulent juste nous énerver et nous nous demandons : « qu’est-ce qui ne va pas chez eux ? »
« Si vous connaissez un peu l’histoire, vous saurez à quel point nos histoires sont entrelacées », dit-elle.

Cet héritage partagé est au cœur du programme, explique Tancons, citant l’exemple de Kaldûn Requiem ou Le Pays Invisible.
Écrit et réalisé par le metteur en scène franco-algérien Abdelwaheb Sefsaf, ce spectacle son, lumière et musique recrée les destins croisés de divers groupes de rebelles qui se sont retrouvés exilés dans la colonie pénitentiaire française de Nouvelle-Calédonie à la fin du XIXe siècle – des Communards de Paris aux Kabyles d’Algérie en passant par les Kanaks ethniques coupés de leur propre foyer.
Une autre performance, Lucioles (« Lucioles »), est une analyse critique des territoires d’outre-mer, inspirée des écrits de l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau et proposée par Tancons elle-même.
Adaptée par l’actrice-metteure en scène Astrid Bayiha et accompagnée par la musicienne Délie Andjembé, la pièce sera jouée dans la bibliothèque historique de Paris, dans le quartier du Marais.
Saveur olympique
Cette année Nuit Blanche s’inscrit également dans le cadre de l’Olympiade culturelle, célébration de l’art et de la culture qui se déroule en amont des Jeux olympiques de Paris, et le sport est présent dans plusieurs spectacles à travers la capitale et sa banlieue.
L’artiste visuel originaire de Guadeloupe Kenny Dunkan mélange skateboard et son pour son spectacle Bienvenu!!! Se produisant sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris ainsi que sur la place de la République, son équipe de skateurs se transformeront en human beatbox pour recréer l’ambiance d’une nuit caribéenne, agrémentée d’oiseaux et de grenouilles.

L’exposition rend également hommage au chevalier Saint-Georges, premier musicien d’origine africaine à avoir connu une renommée mondiale en Europe au XVIIIe siècle. Né Joseph Bologne en Guadeloupe en 1745, il était violoniste, chef d’orchestre et compositeur, mais aussi escrimeur et danseur de talent.
Célébrant ses divers talents, le violoniste guadeloupéen Romuald Grimbert-Barré a collaboré avec Johana Malédon, danseuse guyanaise, pour imaginer une création hybride alliant musique, danse et escrime.
La Nuit Blanche est un programme d’événements culturels gratuits organisé par la Ville de Paris et qui se déroulera tout au long de la nuit du 1er au 2 juin 2024.
Lancé à Paris en 2002, il est également célébré simultanément dans 30 autres villes à travers le monde, dont Taipei, Riga et Winnipeg.