L’artiste franco-algérien Kader Attia explore l’idée de réparation par la créativité dans une nouvelle exposition de ses œuvres récentes au musée d’art moderne de Montpellier, dans le sud de la France. Son travail s’inspire de ses souvenirs d’Algérie et de ses voyages dans les pays du Sud.
« Descente au paradis » est la première exposition d’Attia en France depuis plus de cinq ans. Il la décrit comme « un voyage à travers l’histoire de ma vie, le point de départ d’un dialogue et d’une réflexion sur notre époque, un chemin difficile ».
Le titre est une déconstruction de Dante Comédie divinedu purgatoire à l’enfer, sous lequel se cache la beauté ambivalente du paradis, ajoute-t-il.
Commissariée par Numa Hambursin, l’exposition s’inspire de l’organisation spatiale du musée d’art moderne MoCo de Montpellier.
Les visiteurs descendent du dernier étage au sous-sol comme une métaphore d’un voyage du ciel vers la terre et ses profondeurs.
Il s’agit d’une réflexion sur la réparation, les réparations et la transcendance qui « questionne la notion de verticalité comme mouvement vital et spirituel », selon le commissaire.

Inspirations algériennes
« L’Algérie est vraiment très importante dans mon travail, notamment les traces de ma famille », a déclaré Attia à 42mag.fr le jour du vernissage de l’exposition, présentée en parallèle de « Être méditerranéen », une exposition d’art contemporain du pourtour méditerranéen.
« Ma grand-mère et mon père se sont battus contre le colonialisme. Mais je suis aussi très attachée à l’idée que nous pouvons avoir plusieurs identités. »
Soucieux de partager son identité avec le monde, Attia affirme que son art est une façon d’honorer l’héritage de nos ancêtres.
« J’ai grandi dans une famille pauvre de l’est de l’Algérie, dans les Aurès, un paysage qui a marqué ma vie. »
Artiste multimédia, il utilise le dessin, la photographie, la vidéo, la sculpture et les installations.
Les premières œuvres exposées sont une série de photographies de rochers géométriques provenant du quartier de Bab El Oued à Alger, où l’artiste rendait visite à sa famille.
Sur certaines photographies, des jeunes hommes regardent vers la mer et vers l’Europe – sauf un, assis en train de lire un journal. Il représente les gens qui décident de rester, peut-être pour faire une différence dans leur pays, au lieu de rêver d’immigration.

Attia explore également l’Algérie à travers la nourriture avec une installation qui utilise des ingrédients tels que le pain de là où il a grandi et des morceaux de sucre fondus.
« Ils viennent d’assiettes algériennes cassées, des assiettes avec lesquelles on préparait le pain, avec des motifs spéciaux, créés avec des pointes de fourchettes », explique-t-il.
Attia dit que c’est une façon d’aborder son thème principal, le désir de réparation des blessures passées, qui irriguent les fractures de notre présent.
« Je juxtapose les époques et les lieux dans un mouvement de va-et-vient, explique-t-il. J’ai le sentiment que la spiritualité nous permet d’échapper à l’emprise de l’histoire. »
« Comme la pluie qui ravage et transforme dans deux des dernières pièces, elle crée une ascension dans un flux descendant. C’est ainsi que je vois la « Descente au Paradis ».

Voyages aller-retour
Né en 1970 en Seine-Saint-Denis, au nord de Paris, Attia a grandi dans l’Algérie natale de ses parents, et a vécu entre les deux pays pendant la majeure partie de sa jeunesse.
Il a étudié l’art à Paris à la prestigieuse École Supérieure des Arts Décoratifs avant de beaucoup voyager en Algérie, au Congo, en Amérique Latine et en Asie, ce qui a profondément influencé son art.
« Nous, en tant qu’artistes, pouvons changer en absorbant différentes cultures, dynamiques et conversations », dit-il.
Attia est attiré par les réponses émotionnelles aux événements historiques, en particulier ceux qui impliquent l’exil et le déracinement, et il s’intéresse profondément à la « réparation » des traumatismes, en particulier des blessures coloniales.
L’idée de réparation est explicite dans ses sculptures invoquant la gueules cassées (« visages brisés ») – soldats défigurés pendant la Première Guerre mondiale.
Entre poésie et politique
Lauréat du prestigieux prix Marcel Duchamp en 2016, Attia a construit une œuvre qui oscille entre le politique et le poétique.
« Le plus important, c’est de faire des allers-retours entre les deux », dit-il.
« J’aborde parfois des questions politiques, c’est très clair. Et je les aborde à travers le prisme d’un objectif métaphysique et philosophique. »
Attia évoque « Intifada : les rhizomes sans fin de la révolution », une installation de 2016 composée de sculptures en forme d’arbres faites de barres d’armature en métal. Elles forment des Y pour soutenir les lance-pierres, qui ont été utilisés par les Palestiniens contre les Israéliens pendant la première Intifada de 1987 à 1993.
En mêlant le politique et le poétique, Attia dit pouvoir « élaborer des significations plus subtiles, pour faire écho à la complexité de la société plutôt qu’à des vues très limitées et des clichés ».

« Descente au paradis » est à l’affiche du musée d’art moderne de Montpellier, Moco, jusqu’au 22 septembre 2024.