En plein cœur des négociations pour le poste de Premier ministre, l’ex-chef du gouvernement a pris de court le monde politique en annoncant sa candidature à la présidence. Ses partisans défendent cette décision comme un acte de transparence, tandis qu’elle cause un fort mécontentement au sein du parti d’Emmanuel Macron.
À Matignon, il n’y a pas encore de fumée blanche, mais un ancien chef du gouvernement s’est officiellement lancé dans la course à la présidentielle. Dans une entrevue publiée le 3 septembre dans le magazine Le Point, Édouard Philippe a exprimé clairement son désir de briguer la présidence. « Il n’est pas secret que je me présenterai à la prochaine élection présidentielle », a-t-il déclaré, promettant de proposer un projet « ambitieux » pour la France. Bien que cette annonce n’ait pas surpris quant à son contenu, le moment choisi pose des questions, particulièrement au milieu des négociations politiques pour désigner un nouveau Premier ministre, deux mois après les élections législatives anticipées.
« Chaque entrevue implique une question sur la présidentielle, explique de son côté l’entourage du maire du Havre (Seine-Maritime). À chaque fois, il indique qu’il s’y prépare. Il a choisi d’être direct : il travaille, se prépare et sera bien candidat aux prochaines élections présidentielles. ».
Les partisans d’Édouard Philippe saluent tous sa volonté de transparence. Il avait informé ses collègues politiques peu avant la publication de l’interview dans Le Point. « Il aime bien que tout soit limpide. En ce moment de grande confusion, un peu de clarté est la bienvenue. Cela matérialise une évidence », commente Arnaud Péricard, maire de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). « Il le proclame, il l’affirme. C’était un secret de Polichinelle, maintenant, c’est officiel », ajoute Bérangère Abba, secrétaire générale adjointe d’Horizons, le parti fondé par Philippe.
« Edouard Philippe aurait dû se taire »
Cette annonce publique a immédiatement suscité des critiques parmi les adversaires politiques de l’ex-Premier ministre. « Je trouve cette annonce indécente. Alors que la France traverse une crise et que Macron l’a plongée dans un marasme, quelqu’un parle de ses ambitions personnelles », a critiqué mercredi sur France Bleu Edwige Diaz, députée du Rassemblement national. « Le timing est vraiment mauvais, cela n’intéresse personne », a fustigé Florence Portelli, vice-présidente de LR, sur RTL. « Cela en dit long sur les divisions au sein du bloc macroniste », a ironisé Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, sur LCI.
Cette annonce a semé l’incompréhension, voire la colère, chez les partenaires d’Horizons. « Nous cherchons, mais nous ne comprenons pas », confie un cadre du MoDem. De même, chez Renaissance, ce geste est mal perçu. « Ce n’est pas le bon moment », soupire un proche de Macron. « Nous avons d’autres priorités : le pays, par exemple », ironise un autre.
« Être individualiste, parler de la prochaine élection (…), déclarer sa candidature maintenant n’est pas opportun », a dénoncé mardi soir François Patriat, chef de file des macronistes au Sénat, sur LCI. « [François] Patriat a exprimé tout haut ce que les gens de Renaissance disent tout bas. Edouard Philippe a raté une occasion de se taire », critique une ancienne ministre de Macron.
« Clarifier les choses ? Mais tout est clair depuis la création d’Horizons. C’est plutôt un moyen de rappeler sa présence et de faire parler de lui. »
Une ancienne ministre de Macronà franceinfo
Les soutiens du président digèrent mal les références à une possible démission d’Emmanuel Macron. Philippe a déclaré qu’il se présenterait « à la prochaine élection présidentielle », sans préciser s’il parlait de 2027, tout en indiquant qu’il serait candidat si une élection anticipée était convoquée. « C’est une double maladresse : le timing, trois ans avant l’élection, et les sous-entendus qu’il se prépare à une présidentielle anticipée », critique un cadre de Renaissance.
Pourtant, Macron a écarté cette hypothèse à plusieurs reprises, notamment dans sa lettre aux Français du 24 juin, où il écrivait : « Vous pouvez me faire confiance pour agir jusqu’en mai 2027 comme votre président, protecteur à chaque instant de notre République, de nos valeurs, respectueux du pluralisme et de vos choix, à votre service et à celui de la nation ».
« Nous serions prêts »
Dans le camp d’Édouard Philippe, on se prépare à toutes les éventualités. « Avec ce qui s’est passé avec la dissolution, les scénarios les plus improbables peuvent devenir réalité. Si le calendrier s’accélère, nous serions prêts », confie Arnaud Péricard.
« Le contexte appelle à anticiper et à se préparer à toute situation, ce n’est pas déraisonnable. »
Bérangère Abba, secrétaire générale adjointe d’Horizonsà franceinfo
Les proches de l’ex-Premier ministre réfutent toute idée de précipitation. La décision de l’entretien avec Le Point a en fait été prise durant l’été, et l’interview réalisée avant que Philippe ne rencontre Macron lundi soir. « Nous n’avons pas à subir un calendrier qui n’est pas le nôtre. Édouard Philippe n’est pas candidat pour Matignon, il a une autre trajectoire », assure Arnaud Péricard. En référence aux relations tendues entre Horizons et Renaissance, ce proche de Philippe balaie les critiques venant des macronistes : « J’en ai assez de recevoir des leçons de morale de partenaires qui n’ont pas été exemplaires. Chacun doit faire son propre examen de conscience. »
Avec cette officialisation, l’unité du camp présidentiel est de nouveau mise en question. « Si Édouard pense pouvoir être candidat en reniant les actions menées depuis 2017 et en écrasant Renaissance et le Modem, il se trompe. Sans l’unité du bloc central, aucune victoire ne sera possible en 2027 », estime un cadre de Renaissance. « Or, Édouard Philippe contribue ici à sa division. C’est une erreur politique, tout simplement. » La réponse d’un soutien de Philippe ? « Oh, ils ont bien été contents de nous voir occuper l’espace médiatique pendant quelques heures. »