Lors de la septième journée du procès, un enquêteur de la police judiciaire d’Avignon a fait un récit détaillé et brutal de certaines séquences vidéo découvertes sur le disque dur appartenant à Dominique Pelicot.
« J’ai passé 33 ans dans la PJ [police judiciaire], et je n’ai que rarement été enclin à regarder des vidéos… » Le directeur d’enquête, Stephan Gal, venu témoigner le mardi 10 septembre devant la cour criminelle du Vaucluse, a du mal à exprimer ses émotions. « C’était presque toujours le même scénario, c’était sinistre et frappant », poursuit-il, expliquant l’impact des vidéos de viols collectifs impliquant 72 hommes sur Gisèle Pelicot.
Seulement 54 de ces agresseurs ont pu être identifiés. Parmi eux, un est décédé et deux autres ont été disculpés par manque de preuves suffisantes, comme l’avait expliqué mercredi dernier Jérémie Bosse Platière, l’autre directeur de cette vaste enquête. Ainsi, ce sont 50 accusés qui se présentent depuis le 2 septembre aux côtés de Dominique Pelicot. Comme la veille, ce dernier était absent à l’audience de mardi pour des raisons de santé.
Les coaccusés étaient, eux, bel et bien présents pour écouter le résumé de leurs dossiers. Le commandant de police a décrit les images « très, très glauques » qu’il a découvertes, avec ses collègues, sur le disque dur de Dominique Pelicot. Dans un dossier intitulé « Abus », ils ont dû identifier les pseudonymes « le motard », « David Black » ou « Rasmus », ce dernier étant le seul poursuivi pour « viols aggravés » non pas sur Gisèle Pelicot, mais sur sa propre femme, après avoir suivi les instructions données par Dominique Pelicot.
Une description insoutenable
Pour identifier les auteurs, les enquêteurs ont eu recours aux numéros de téléphone et, si nécessaire, ont utilisé le TAJ, le fichier de reconnaissance faciale de la police, particulièrement utile quand il s’agit de récidivistes. « Nous ne nous sommes pas limités au dossier spécifique : nous avons fouillé dans les autres fichiers de Monsieur Pelicot. Nous avons aussi scruté les tatouages des auteurs pour relier les vidéos », explique l’enquêteur. Certains accusés apparaissaient à plusieurs reprises. Le travail des quatre enquêteurs de la PJ d’Avignon, réunis en groupe pour ce dossier, a été quelque peu simplifié par le fait que la lumière était toujours allumée, souvent très vive, lors de ces scènes sordides.
Les descriptions des vidéos par Stephan Gal varient en fonction des accusés. Cependant, des détails constants émergent, tels que l’absence de préservatif pour plusieurs d’entre eux. Le policier note également que la victime était « totalement inconsciente » dans chaque vidéo, souvent « la bouche ouverte » et en train de ronfler. Il remarque également les précautions prises par chacun pour « ne pas faire de bruit ». « Pas de geste brusque. » « Il chuchote. » Cette sinistre litanie continue. « Non, pas avec les ongles, ça va la réveiller », murmure Dominique Pelicot. « C’est tout de même étrange », répète un des auteurs à deux reprises.
Les descriptions du commandant, factuelles et brutales, sont difficiles à supporter. Il raconte des scènes abominables, comme des fellations forcées maintes fois imposées à la retraitée, qui risquait de s’étouffer. Caroline Darian, la fille de Gisèle et Dominique Pelicot, quitte la salle d’audience pendant son témoignage, visiblement en état de choc. Elle est soutenue par ses deux frères, également ébranlés. Leur mère reste assise parmi les parties civiles. Difficile d’imaginer ce qu’elle ressent. Celle qui a visionné les vidéos en mai dernier, pour préparer le procès, a témoigné à la barre jeudi qu’elle avait été prise pour « une poupée de chiffon, un sac-poubelle ».
« Tous étaient conscients » de l’état de la victime
Après le témoignage du policier, la défense des accusés, interpellés entre février et septembre 2021, a cherché à minimiser l’impression de « globalisation » du dossier. Plusieurs avocats déplorent que leurs clients soient souvent mis « dans le même sac », comme ils l’ont mentionné à plusieurs reprises depuis le début du procès. Ils reviennent sur divers aspects de l’enquête qu’ils jugent parfois discutables, notamment la question de l’horodatage des vidéos incriminées.
« Lors de leurs interrogatoires, les accusés étaient stupéfaits de s’entendre reprocher d’être restés deux, trois, voire même parfois sept heures », indique une avocate. Certains prétendent n’avoir passé que quelques minutes chez la victime. « La cour devra-t-elle se fier à cet horodatage aveuglément ? », poursuit-elle avant d’être interrompue par le président, Roger Arata. « Aveuglément, non. Nous écouterons chaque accusé et recueillerons son avis, ainsi que celui de Monsieur Pelicot », réplique-t-il. Ce dernier ayant toujours affirmé aux enquêteurs que les accusés savaient très bien qu’ils venaient pour violer son épouse.
Le débat tourne constamment autour de la question de l’intention des accusés. Beaucoup affirment avoir été manipulés par Dominique Pelicot et avoir cru, du moins avant d’arriver sur place, à un « scénario libertin » où Gisèle Pelicot feindrait de dormir. Une avocate dit ainsi que son client est « tombé dans un piège ». « Maître, j’ai visionné toutes les vidéos. Quand on est normalement constitué et qu’on voit quelqu’un dans cet état, on s’arrête et on rentre chez soi », réplique le policier. Et d’ajouter, répondant à une question de Stéphane Babonneau, représentant les parties civiles : « Tous étaient conscients qu’elle était dans un sommeil très profond et ils ont quand même exécuté leur basse besogne. »