Qu’est-ce qui rend le système judiciaire en France si lent, au point de causer des traumatismes sévères aux personnes concernées ? L’émission « Envoyé spécial » examine en détail un cas symbolique de ces défaillances : l’affaire d’Estelle Mouzin. Après dix-sept ans de lourdes démarches judiciaires sans résultat, le père d’Estelle a pris la décision d’engager des poursuites contre l’État.
Ce dossier est tristement représentatif des lenteurs et des dysfonctionnements de la justice en France. Afin d’identifier le responsable de l’enlèvement et du meurtre d’Estelle Mouzin, il a fallu attendre dix-sept longues années. Et pourtant, dès le début, l’ombre de Michel Fourniret, le tueur en série, planait sur la disparition de la fillette de 9 ans en janvier 2003. La police belge, qui l’appréhende six mois plus tard pour tentative d’enlèvement, est convaincue de sa culpabilité, mais ses homologues français écartent la piste de « l’ogre des Ardennes ». Fourniret lui-même demandera en 2007 à être entendu par les enquêteurs.
Une succession de huit juges en dix-sept ans
Pendant dix-sept ans, ce sont huit juges d’instruction qui se succèdent sur l’affaire. Malgré les demandes insistantes du père d’Estelle, les sept premiers magistrats semblent peu enclins à explorer la piste Fourniret. Durant toutes ces années, Éric Mouzin estime que « personne ne dirige réellement l’enquête ». Ce n’est que la huitième magistrate, Sabine Kheris, qui, selon lui, décidera d’approfondir cette hypothèse.
Il faut patienter jusqu’en 2019 pour que Monique Olivier, l’ex-femme de Michel Fourniret, apporte des éléments concernant les dernières heures d’Estelle. Cependant, elle affirme ignorer l’emplacement du corps de la fillette. En 2020, Michel Fourniret avoue finalement sa culpabilité. Mais il décède un an plus tard, sans avoir pu être jugé. Le temps perdu par la justice ne pourra jamais être rattrapé.
« Michel Fourniret n’a pas été condamné, puisqu’il est mort avant. Et donc il ne peut pas être jugé, puisqu’il y a extinction de l’action publique une fois qu’il est mort. »
Éric Mouzin, le père d’Estelle Mouzin,dans « Envoyé spécial »
Selon Éric Mouzin, il n’y a eu ni excuses, ni prise de conscience de la part de la justice, qu’il juge « incapable d’apprécier objectivement la situation ». Par conséquent, il a pris la décision d’intenter une action en justice contre l’État pour faute lourde. Les reproches énoncés dans son acte de saisine sont sévères : « manque d’activité de certains juges », « superficialité des actions des magistrats », « incompétence des magistrats à remplir leurs fonctions », « et « incapacité des juges d’instruction à orienter l’enquête et à agir en tant que véritables directeurs d’enquête ». Aujourd’hui, son souhait est de voir reconnaître les défaillances de l’enquête.
Extrait de « Les naufragés de la justice », un reportage à découvrir dans « Envoyé spécial » le 24 octobre 2024.







