Lundi, à la cour criminelle du Vaucluse, les familles et amis des sept personnes mises en accusation se sont succédé. Ces individus avaient été entendus les jours précédents, mercredi et jeudi, au cours de leurs interrogatoires concernant les actes qui leur sont reprochés.
« Depuis trois ans et demi, je cherche des réponses à mes questions. Je suis allée le voir au parloir pour tenter de comprendre… Pourquoi a-t-il fait ça ? » évoque Samira T., en larmes, lundi 30 septembre, devant la cour criminelle du Vaucluse. « Il » fait référence à son compagnon Jérôme V., accusé et incarcéré pour une série de viols sur Gisèle Pelicot. Entre mars et juin 2020, Jérôme V., âgé de 46 ans, s’est introduit à six reprises chez le couple Pelicot à Mazan. Un sinistre record qu’il partage avec un autre accusé.
Quand les forces de l’ordre les interpellent en mars 2021, Samira et Jérôme sont en plein déménagement, après avoir acheté une maison. La police refuse d’expliquer à Samira les motifs de l’arrestation sous prétexte qu’ils ne sont ni mariés ni pacsés. Samira apprend toutefois que Jérôme V. est impliqué avec Dominique Pelicot et poursuivi pour « viols aggravés ». « Au début, j’ai pensé qu’il était impliqué dans un réseau de proxénétisme », se souvient cette femme de 44 ans, aux cheveux auburn.
En détention, elle en sait plus en s’entretenant avec le principal intéressé. « Il ne m’a rien caché, je sais qu’il y est allé six fois, mais je ne connais pas les détails exacts », dit Samira T., entrecoupée de sanglots. Est-elle au courant de la réalité brutale des faits, documentés par des dizaines de photos et vidéos trouvées sur le disque dur de Dominique Pelicot ? Rien n’est moins sûr. « Nous avions des relations normales… Selon moi, il n’avait aucune raison de chercher ailleurs », exprime la quadragénaire, bouleversée, comme si les viols dont Jérôme V. est accusé relevaient d’une simple infidélité.
« Il a des troubles du spectre autistique »
Elle semble prête à le défendre quoi qu’il advienne. « J’ai beaucoup entendu parler de ‘monsieur Tout-le-monde’ dans cette affaire. Pour mon compagnon, c’est différent », affirme-t-elle. « Je travaille dans le domaine de la santé. Avant, j’enseignais, et pour moi, [Jérôme V.] présente des troubles du spectre autistique. Je ne comprends pas que personne ne l’ait remarqué », s’insurge Samira T. avec colère.
Elle a longuement réfléchi au mal-être de cet ancien pompier volontaire, ayant grandi à Grande-Synthe (Nord), « dans un climat d’humiliation et de dénigrement » de la part de ses parents, comme l’a rapporté l’enquêtrice de personnalité plus tôt dans la journée. « J’en ai parlé aux services de police, à l’enquêtrice, à la psychologue de la police… En discutant avec lui au parloir, je pense à une alexithymie », avance Samira, faisant référence à ce trouble psychiatrique qui se caractérise par une incapacité à identifier ses émotions, selon le dictionnaire médical Vidal.
Samira T. a confié à l’enquêtrice de personnalité avoir observé chez son partenaire « un esprit très compétitif, parfois désagréable, égocentrique et prétentieux, qui ne se gêne pas pour draguer d’autres femmes, même en [sa] présence ». Un portrait peu flatteur, également partagé par les anciennes compagnes de Jérôme V., mais insuffisant pour la rebuter. « C’est quelqu’un qui n’a pas les codes sociaux. En deux ans, j’ai tenté de rééduquer, mais c’est difficile de changer une personne ancrée dans un schéma. Je ne renonce pas, j’espère qu’il comprendra », conclut-elle, comme une promesse sacrificielle envers celui qui risque vingt ans de réclusion criminelle. Jérôme V., tentant de cacher ses larmes, est également ému.
« Il n’a pas eu une enfance facile »
Au même micro, Corinne M., une aide-ménagère de 53 ans, revient elle aussi sur le passé de son ex-mari, Thierry P., poursuivi pour des faits de « viols aggravés » sur Gisèle Pelicot, commis une nuit de juillet 2020. « Il n’a pas eu une enfance facile, voyant sa mère s’autodétruire avec l’alcool et un père absent, qui a reconstruit sa vie sans ses enfants », décrit cette femme vêtue d’une veste en cuir.
Tous deux se sont rencontrés à « 16-17 ans » et ont eu rapidement une fille, née en 1994, et un fils, en 1997, selon l’enquêtrice de personnalité. Thierry P., maçon, assurait un bon niveau de vie au couple, devenu rapidement propriétaire d’une maison. « Nous étions très, très heureux tous les quatre », se remémore Corinne M. d’une voix calme. « Jusqu’au drame, le 1er janvier 2016. Tout a basculé », dit-elle, peinant à poursuivre. Cette nuit-là, leur fils meurt dans un accident de voiture à l’âge de 18 ans.
Depuis, Thierry P. changea radicalement, sombrant dans une immense colère suivie d’une profonde dépression. « Il ne mangeait plus, ne pouvait pas travailler, il était désespéré », décrit-elle. L’homme, alors âgé de 45 ans, se tourna progressivement vers l’alcool. Le couple finit par divorcer. En janvier 2021, Thierry P. tenta de se suicider. Il fut arrêté quelques semaines plus tard. Aujourd’hui, l’homme, qui se présente libre au procès, semble sorti de la dépression et a quasiment arrêté de boire. Le couple tente même de se reformer.
« Nous nous revoyons, reprenons contact, essayons », explique Corinne M., qui semble minimiser les accusations portées contre le père de ses enfants.
« À mon avis, il s’est dit : ‘Je vais aller voir un peu, pour m’amuser…’ Je ne sais pas. »
Corinne M., parlant du site Coco.frface à la cour criminelle du Vaucluse
Elle s’adresse à Gisèle Pelicot : « Je pense à madame et à sa fille. Je ne comprends pas comment on peut faire ça », déclare la quinquagénaire, comme si les faits ne concernaient pas son ex-mari, présent à quelques mètres.
« C’est quelqu’un de très empathique »
La difficulté d’associer l’être aimé aux crimes reprochés suscite peut-être une forme de déni. Alexandra R., une esthéticienne de 28 ans, semble complètement réfuter la réalité. Arrivée devant la cour en fin de journée, elle affirme d’emblée une grande confiance en son compagnon, Simone M., arrêté en avril 2021, peu après le début de leur relation.
« Il m’a raconté les faits et je suis tombée enceinte après. Je voulais cet enfant malgré cela », assure celle qui est devenue mère d’une petite fille en juin 2023. « C’est quelqu’un de gentil, sociable et empathique », proclame-t-elle d’une voix forte, précisant que son conjoint « fait souvent la cuisine, le ménage » et « passe le tracteur chez [son] père ». La cour interroge ce qu’elle sait des faits reprochés à son fiancé.
« Il m’a dit qu’une dame a été malheureusement violée, mais qu’il n’en faisait pas partie. »
Alexandra R.devant la cour criminelle du Vaucluse
Et d’ajouter : « Il est allé la voir, a essayé, car il était désespéré à l’époque et a vite compris que ce n’était pas ce à quoi il s’attendait. Il est parti immédiatement ». Pourtant, l’homme de 43 ans, originaire de Nouvelle-Calédonie, est poursuivi pour « viols aggravés » sur Gisèle Pelicot. Les vidéos montrent des « pénétrations vaginales et anales, digitales et avec son sexe, ainsi qu’une tentative de fellation sur la victime inconsciente ».
L’avocat de Gisèle Pelicot, Stéphane Babonneau, la questionne : « Vous dites qu’il est venu et reparti aussitôt, que signifie cela ? ». « Simone est une personne de confiance… Pensez-vous qu’il ait touché madame Pelicot, voire plus ? Où voulez-vous en venir exactement ? », réplique vivement Alexandra R. L’atmosphère dans la salle devient pesante.
Elle termine sa déposition avec assurance, puis, contrairement aux autres témoins, ne quitte pas la salle d’audience ni ne s’assoit discrètement. La jeune femme s’installe directement sur le banc des accusés, à côté de son compagnon, refusant manifestement de faire face à la réalité des faits.