Se déroulant « quelque part entre Téhéran et Winnipeg », le deuxième long métrage du réalisateur canadien Matthew Rankin Langage universel est un hommage à la famille et à la communauté. Filmé en farsi et en français, son humour suranné et absurde a enchanté le public des festivals de Cannes à Toronto et lui a valu la nomination du Canada pour le meilleur long métrage international aux Oscars.
Rassembler les gens indépendamment de la distance, de la langue ou de la culture est au cœur du dernier projet de Rankin Langage universel (Une Langue Universelle).
Présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en mai, ce drame étrange et doux-amer a remporté le Prix du public dans sa catégorie et le Prix de la meilleure découverte canadienne au Festival du film de Toronto (TIFF), le 15 septembre.
Rankin travaillait sur le scénario du film lorsque la pandémie de Covid a frappé. Même s’il restait en contact avec son équipe, il était surtout seul avec ses pensées. Il a vécu ce qu’il appelle un « compte avec la solitude », qui a donné une dimension supplémentaire à l’histoire.
« Je me souviens qu’au début de la pandémie, il y avait un grand désir idéaliste de ce que serait le monde à la fin, mais j’ai l’impression que nous avons émergé avec tous ces nouveaux murs de Berlin qui ont jailli tout autour », a-t-il déclaré. 42mag.fr à Cannes.
« Le monde semble beaucoup plus binaire qu’avant. »
Il dit que la liberté du « langage cinématographique » l’a aidé à raconter cette histoire – en empruntant à différents codes culturels pour suspendre le temps et l’espace et faire tomber les barrières.
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L’étrange Canada
Langage universel se déroule dans un paysage plat et enneigé parsemé de bâtiments de couleur beige fade qui semblent vaguement soviétiques. Un flot incessant de voitures défilent sur les échangeurs d’autoroutes.
Comme dans un rêve surréaliste, il existe des éléments reconnaissables du Canada moderne, mais ils semblent disparaître dans un autre royaume. Le logo de l’omniprésente chaîne de café Tim Horton’s, par exemple, est écrit en farsi – et à l’intérieur, ils ne servent que du thé aux personnes assises autour de tricoter des chaussettes.
Matthew joue une « version » de lui-même dans le film : un fonctionnaire déprimé de Montréal qui retourne dans sa ville natale de Winnipeg, dans le centre du Canada, pour vérifier si sa mère est malade.
Mais quand il arrive, rien n’est vraiment ce qu’il semble être. Ainsi commence un voyage insolite et introspectif qui se croise avec d’autres personnages de l’histoire.
Dans la même ville, deux enfants iraniens sont tout excités car ils ont trouvé de l’argent gelé dans la banquise. Ils courent partout pour demander de l’aide aux voisins et aux commerçants pour extraire les billets d’un dollar.
Pendant ce temps, il y a des scènes hilarantes avec un guide touristique, Massoud, qui, d’une voix pince-sans-rire, raconte les différentes merveilles de Winnipeg. Il s’agit notamment d’une mallette gelée sur un banc, abandonnée par un homme d’affaires il y a quelques années et désormais considérée comme un trésor du patrimoine de l’UNESCO.
Culture iranienne, Elvis afghan
Rankin dit que son amour de la culture et de la langue iraniennes a joué un rôle essentiel dans la réalisation du film, tout comme les amitiés nouées lors de ses voyages en Iran lorsqu’il était plus jeune.
Il cite comme influences le cinéma iranien « méta-réaliste » d’Abbas Kiarostami et Mohsen Makhmalbaf, ainsi que le modèle d’enfance Groucho Marx.
Rankin dit également qu’il s’est inspiré du chanteur pop Ahmad Zahir – affectueusement surnommé « l’Elvis afghan ». Il dit que le musicien avait une étrange capacité à combler les fossés culturels, ce que le cinéaste voulait imiter.
Rankin parle même le farsi dans son rôle, une langue qu’il dit apprendre au « ralenti » depuis plus de 10 ans. Il parle également le français canadien, avec l’accent distinctif du Québec.
Il prend soin de souligner que le cinéma n’a pas pour vocation de faire une déclaration politique, mais plutôt sociale.
« Nous travaillons à partir d’un principe d’absence de frontières et de solidarité universelle », dit-il, contrastant avec la nature polarisante de la politique.
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Fragments de vie quotidienne
Après s’être concentré sur le récit des histoires des autres dans ses films précédents, c’était la première incursion de Rankin dans l’autobiographie.
« Tous les événements de l’histoire viennent de ma vie ou de la vie de ma famille, des rêves que j’ai faits ou des notes de mon journal que j’ai écrit », dit-il. « Ce sont toutes sortes de fragments. »
Selon Rankin, l’un des moments forts de la réalisation du film a été de s’entourer d’une grande équipe internationale, parlant trois langues à la fois et partageant des idées sur le plateau en temps réel.
Il a co-écrit le scénario avec Pirouz Nemati et Ila Firouzabad (qui jouent respectivement Massoud et le chauffeur de bus) et affirme que le film a pris vie grâce à leur étroite collaboration.
« Le film est vraiment hybride. Il fusionne les langages cinématographiques de Winnipeg, Téhéran et Montréal et il ne parle pas vraiment d’un de ces endroits. Il s’agit plutôt de cette étrange fusion des trois. »
Pour Rankin, l’aventure du cinéma consiste à « ouvrir de nouvelles façons de voir et d’imaginer notre monde compliqué, triste, beau et lumineux ».
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Langage universel est le deuxième long métrage de Rankin après la comédie noire surréaliste Le vingtième sièclequi a remporté le prix Fipresci de la Berlinale en 2020 et le prix du meilleur premier film canadien dans la catégorie Midnight Madness du Festival du film de Toronto en 2019. Il a également réalisé plus de 40 courts métrages.
Langage universel fait partie de la programmation du festival d’humour Fifigrot à Toulouse (16-22 septembre) et a été sélectionné pour représenter le Canada dans la catégorie Meilleur long métrage international aux Oscars en 2025.