Les producteurs agricoles ont prévu une forte mobilisation à l’échelle nationale pour demain, lundi 18 novembre, suite à des manifestations qui ont eu lieu localement tout au long du week-end. Ces actions visent à protester contre le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les nations du Mercosur situées en Amérique du Sud.
Après les perturbations de l’hiver précédent, les agriculteurs continuent d’exprimer leur mécontentement face à une concurrence qu’ils considèrent injuste pour leurs produits. Le sociologue Jean Viard analyse cette problématique sociétale.
Quelle protection pour l’agriculture française dans une économie globalisée ?
42mag.fr : À l’ère de la mondialisation, comment protéger efficacement nos agriculteurs et les produits français ?
Jean Viard : Plusieurs aspects doivent être pris en compte. Premièrement, il y a le sujet des normes supplémentaires françaises qui irritent profondément les agriculteurs. Il est difficile de justifier cette situation puisque nous partageons le même marché. Le désir de la France d’introduire des normes plus strictes que celles de l’Union européenne est discutable. Étant donné que notre marché est principalement européen, il est logique d’adopter les mêmes standards pour éviter de défavoriser nos agriculteurs. Ce sujet alimente le débat actuel, et une législation est en discussion à l’Assemblée nationale.
Ensuite, la dissolution des promesses faites par Gabriel Attal, qui correspondaient en grande partie aux attentes des agriculteurs, n’a pas été réalisée. Les agriculteurs exercent donc une pression pour que ces promesses soient concrètement mises en œuvre, sans rouvrir les discussions. L’agriculture représente un ensemble complexe de problématiques. Par exemple, les agriculteurs du Nord, victimes des inondations, et ceux du Sud, qui souffrent de restrictions d’eau, ne sont pas confrontés aux mêmes défis. On ne peut pas simplement transférer l’eau du Nord vers les terres agricoles d’Occitanie. Il s’agit d’une multitude de problèmes à gérer.
Les accords commerciaux et leurs conséquences
Quel est l’impact d’un accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur sur les agriculteurs ?
Il est compréhensible que cela suscite des frustrations chez les agriculteurs. Cependant, cela ne signifie pas qu’il faille l’éviter. Un accord entre l’Europe et le Mercosur d’Amérique du Sud pourrait détourner ces échanges vers la Chine s’ils ne se font pas avec nous. Il existe d’importants enjeux géostratégiques à considérer, notamment pour éviter que la Chine ne renforce sa position au Brésil. De plus, cet accord bénéficierait largement à certaines de nos industries, comme le secteur automobile allemand. La bonne santé de l’industrie allemande est également cruciale pour nous, car elle représente notre principal marché d’exportation. Une crise dans l’industrie allemande pourrait avoir des répercussions négatives sur notre économie. Cela pose la question de la compensation pour ceux qui en pâtiraient. Il n’est pas acceptable de dire à un agriculteur que son activité n’a plus d’avenir sans lui offrir des perspectives de reconversion.
Il est crucial que les règles écologiques soient respectées, par exemple ne pas consommer de viande issue de bétail traité aux hormones. Par ailleurs, nous devons encourager les agriculteurs à se diversifier. En Provence, par exemple, on observe un développement croissant de plantations d’amandiers et d’oliviers. Ces évolutions nécessitent des investissements à long terme, souvent sur une décennie. Il est impératif de travailler sur ces transitions sans nuire à certains agriculteurs si un accord comme celui du Mercosur voit le jour. Pour l’instant, la France reste prudente car elle est consciente de l’impact potentiel sur une partie de son secteur agricole.
Vers un protectionnisme accru pour les produits agricoles français ?
On ne peut pas se résoudre à un protectionnisme renforcé, car nous importons de nombreuses denrées de l’étranger, comme le soja, le maïs, ou encore le whisky. La clé réside dans le renforcement de l’Europe comme une entité politique, économique et culturelle puissante. L’enjeu pour l’Europe est d’unir ses efforts, notamment dans le domaine de l’alimentation, qui dépend des capacités culinaires et des souhaits gastronomiques des consommateurs. En France, l’élimination des cours de cuisine dans les écoles est regrettable.
L’Occitanie est un exemple remarquable, ayant développé des initiatives autour de l’alimentation avec des maisons de l’alimentation dans de nombreuses localités. Ces lieux rassemblent des personnes pour cuisiner ensemble des plats variés, et les producteurs locaux participent en fournissant les ingrédients nécessaires. Ces projets alimentaires territorialisés sont une approche prometteuse pour soutenir l’agriculture, bien plus pertinente que de renforcer des frontières souvent contre-productives, surtout au sein de l’Europe.