Alors que le nombre de plans de restructuration augmentent en France, les responsables locaux, qui sont souvent les premiers à devoir faire face aux employés concernés, se retrouvent presque sans ressources pour apaiser leur désarroi.
Mardi 19 novembre marque le début officiel du congrès des maires, dans un climat politique particulièrement tendu. Face à des situations économiques difficiles, telles que des plans sociaux qui affectent leurs municipalités ou circonscriptions, les maires, tout comme les députés, se retrouvent directement impliqués. Quelle est leur action concrète lorsque de telles situations surviennent ? Quelles sont les options à leur disposition ? À Bogny-sur-Meuse, dans les Ardennes, la menace plane sur près de 80 postes au sein de l’entreprise métallurgique Walor, fournisseur de l’industrie automobile, plaçant le maire dans une situation délicate pour tenter de réduire les impacts sociaux.
Face à l’usine Walor, où le calme a cédé la place aux manifestations, le maire avance, traversant les pneus en feu et les croix en bois disposées symboliquement. L’activité économique de l’usine est à l’arrêt depuis quelque temps. Les employés, arborant des visages fermés et angoissés, s’adressent à lui, manifestant leur inquiétude après l’annonce de l’offre de reprise par l’entreprise Forgex, qui prévoit la suppression de 79 emplois sur 120. « Monsieur le maire, ils ne nous accorderont rien de plus, et ils n’absorberont pas davantage de personnels », s’alarme une employée. Kévin Gengoux tâche de maintenir un dialogue apaisé : « Nous avons besoin de nous entretenir avec Bercy, c’est là que notre intervention est cruciale, pour que les plus hautes autorités de l’État puissent exercer une pression sur ce type de sociétés… »
« Dans notre vallée, il ne reste plus rien, vous connaissez ce territoire ! »
Il est crucial de mobiliser l’attention des décideurs nationaux et des ministères, ce qui se fait en collaboration étroite avec Pierre Cordier, député associé au groupe les Républicains à l’Assemblée nationale. Tout comme le maire de Bogny-sur-Meuse, ce député est, lui aussi, à portée de protestations des employés de Walor et défend ses actions entreprises : « Nous faisons pression sur l’État pour influencer la reprise par Forgex. Ne me dites pas que vous n’êtes pas informés de notre engagement. »
La tension augmente. Un salarié se fait entendre : « Il y a 80 personnes qui vont partir sans rien du tout, les mains vides ! Dans notre vallée, il ne reste plus rien, et vous êtes parfaitement au courant, vous connaissez ce territoire ! » Face à une telle interpellation, le député est obligé de préciser son rôle limité : il reste « uniquement député ».
« Je ne suis ni repreneur, ni ministère de l’Industrie, ni même chef d’entreprise partant. »
Pierre Cordier, député LRinterviewé par 42mag.fr
Ces explications restent pourtant difficiles à accepter pour les travailleurs de Walor, qui espéraient davantage de la part du pouvoir politique. « Nous ne sommes pas dans le même monde, les élus vivent dans un univers idéal, » déplore un employé. « Ils ne peuvent rien faire. Déjà, même le président est impuissant. Qui plus est, c’est une usine privée. Être président ne change rien ici, » ajoute un autre. Pour eux, le pouvoir politique semble désemparé face aux impératifs du marché et aux stratégies commerciales des entreprises privées.
« Quelles actions puis-je entreprendre ? »
Les élus ardennais sont bien conscients des limites de leur influence, mais il est hors de question de baisser les bras. Kévin Gengoux se rappelle le moment où il a été informé des licenciements chez Walor. Ses premiers mots révèlent son anxiété : « Immédiatement, j’ai compris que mes compétences économiques seraient mises à rude épreuve. Je me suis demandé quelles actions je pourrais entreprendre pour apporter le maximum de soutien, pour que ma fonction de maire soit réellement utile à la communauté, non seulement à celle de ma ville, mais aussi à celle des Ardennes. »
La première étape est de « maximiser la médiatisation de l’affaire. Cela aide à gagner du terrain dans les négociations. L’objectif est de faire entendre Walor à l’Assemblée nationale, de capter l’attention des plus hautes instances, jusqu’au ministre de l’Industrie. » Pour être écouté par le ministre de l’Industrie, il peut s’appuyer sur Pierre Cordier, qui intervient en commission sur les affaires économiques : « Monsieur le ministre, je vous parle de l’entreprise Walor, spécialisée dans les composants mécaniques dans les Ardennes. »
Les élus ont un rôle à jouer, affirme résolument le député. « Si les élus prétendent qu’il n’y a rien à faire, c’est désespérer du rôle que nous avons, que ce soit à l’échelon local ou national. Le devoir d’un parlementaire est de faire appel aux plus hauts niveaux de l’État mais aussi aux services de l’État comme les services fiscaux, l’Ursaff… Pour que l’acquéreur puisse maintenir le plus d’emplois possible. » Un travail discret mais aux résultats modestes.
« Avoir autant de responsabilités ne sert à rien sans actions économiques »
Ces maires ressentent une frustration, enfermés dans leur impuissance à sauver les emplois. À Bogny-sur-Meuse, Kévin Gengoux souhaite en faire davantage : « Posséder autant de responsabilités et être confronté à une telle crise sociale est inutile. Le seul pouvoir qui me fait défaut, c’est celui économique et une réelle capacité d’intervention sur ces problématiques. »
Ce sentiment est partagé par Yan Dugard, maire de Vouziers, à 60 kilomètres, où ce sont 115 postes qui sont en jeu chez Walor. Lui aussi cherche à préserver les emplois, tout en reconnaissant son incapacité à satisfaire les espoirs des salariés : « Face à ces travailleurs en détresse, il est pénible de ne pouvoir répondre que par des paroles. Leur désillusion est aussi la mienne, et cela fait mal. Je me représente un enfant qui attend quelque chose de ses parents, mais que ceux-ci ne peuvent offrir… » Ces dirigeants témoignent de leur sentiment de désarroi et d’abandon par l’État, qu’ils accusent de les laisser seuls dans leur lutte contre les grandes entreprises.