Le Rassemblement national et La France insoumise soutiennent cette option. Cependant, la plus haute juridiction administrative de France, le Conseil d’État, considère que cette modification n’est pas appropriée pour être incluse dans la loi spéciale. Elle devrait plutôt attendre le passage d’un projet de budget pour être considérée.
Une législation spécifique pour garantir la continuité des services publics
Un projet de loi spécial est en préparation pour permettre à l’État de maintenir le fonctionnement des services publics même si le budget de 2025 n’est pas approuvé à temps. Ce document, élaboré par le ministre démissionnaire des Finances, à la suite du rejet du gouvernement de Michel Barnier, devrait être présenté lors du Conseil des ministres du mercredi 11 décembre et discuté à l’Assemblée nationale lundi prochain.
Pourtant, ce projet de loi omet d’ajuster le barème de l’impôt sur le revenu en fonction de l’inflation, une disposition initialement incluse dans le projet de loi de finances par le gouvernement. Sans cette adaptation, l’impôt sur le revenu pourrait augmenter de 2,6 milliards d’euros en 2025, faisant basculer 380 000 ménages non imposables dans la catégorie des contribuables, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques. Il s’agit donc d’une hausse fiscale possible.
Invité sur CNews, Jean-Philippe Tanguy, député du Rassemblement national pour la Somme, a affirmé qu’il est techniquement faisable de déposer un amendement au projet de loi spécial pour intégrer cette indexation, ce qui permettrait de « protéger les contribuables des classes moyennes et populaires contre une augmentation injuste de leurs revenus ». Il a appuyé son discours en se référant à un précédent de 1979. Eric Coquerel, député de la France insoumise et président de la commission des finances de l’Assemblée, a indiqué sur Franceinfo son intention de proposer un tel amendement.
D’un autre côté, Laurent Saint-Martin, ancien ministre du Budget, a déclaré sur TF1 qu’un tel amendement ne respecterait pas la Constitution. « Des amendements similaires ont été jugés inconstitutionnels en 1979 et le seraient encore aujourd’hui », a-t-il affirmé, précisant qu’une telle mesure doit être incluse dans le nouveau budget de 2025. Mais que dit exactement la loi ? Franceinfo a consulté divers experts en droit constitutionnel pour éclaircir la situation.
Examiner les interprétations possibles de la loi spéciale
Les débats sur ce sujet en 1979, mentionnés par Jean-Philippe Tanguy, figurent dans les archives parlementaires. En décembre 1979, des modifications de l’impôt sur le revenu ont été débattues, mais rejetées par l’Assemblée nationale et le Sénat, pour des raisons de fond. « Aucun parlementaire n’a jugé cette mesure irrecevable en raison de la nature de la loi », explique Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public à l’université de Picardie Jules-Verne.
Cependant, des changements importants ont eu lieu depuis 1979. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 a clarifié le cadre des discussions budgétaires. Selon Les Surligneurs, média spécialisé, la loi spéciale permet à l’État de « percevoir les impôts existants jusqu’à l’adoption du budget annuel ». Mais peut-elle aussi modifier les règles d’imposition ? Sacha Sydoryk souligne que le texte reste ambigu, laissant place à une interprétation stricte ou plus large.
« La première option consiste à voir la loi spéciale comme un simple prolongement qui permet de collecter les impôts sur la base de l’année précédente. Dans ce cas, des amendements ne sont pas envisageables », explique Sacha Sydoryk. « Une autre interprétation pourrait autoriser des modifications, permettant notamment l’indexation de l’impôt sur le revenu sur l’inflation. »
L’interprétation stricte du Conseil d’État
Le 10 décembre, le Conseil d’État a donné son avis sur cette question précise de la LOLF et sur la constitutionnalité de cette mesure dans une loi spéciale. Selon lui, « les nouvelles mesures fiscales » ne sont pas « nécessaires pour maintenir la continuité de la vie nationale » et ne relèvent donc pas de la loi spéciale, l’indexation n’étant pas considérée comme « essentielle pour poursuivre la collecte des impôts ».
Anne-Charlène Bezzina, maîtresse de conférences en droit public à l’université de Rouen, partage cette interprétation stricte. Selon elle, la loi spéciale doit seulement servir de transition entre un budget non voté et un futur budget, en se limitant à l’existant sans inclure de nouvelles mesures politiques. C’est la logique des rédacteurs de la LOLF, affirme-t-elle.
Le Conseil constitutionnel, arbitre ultime
Le Conseil d’État, garde cependant un rôle consultatif, fournissant des avis juridiques aux autorités gouvernementales et parlementaires. Le Conseil constitutionnel est le seul habilité à se prononcer sur la constitutionnalité d’un amendement concernant l’indexation de l’impôt sur le revenu.
« Rien n’indique que le Conseil soit saisi », estime Sacha Sydoryk. Quatre instances peuvent demander ce contrôle : le président de la République, le Premier ministre, et les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, ainsi que 60 députés ou sénateurs. Si saisi, le Conseil pourrait autoriser l’amendement s’il juge la dérogation mineure ou nécessaire, en se basant sur une interprétation plus libérale de la LOLF, suggère-t-il.