Face à la situation critique à Mayotte suite au passage dévastateur du cyclone Chido, le nouveau chef du gouvernement a rencontré plusieurs difficultés en l’espace de cinq jours. Originaire du Béarn, il maintient fermement sa ligne de conduite et ses choix politiques, mais éprouve néanmoins des difficultés à former son équipe ministérielle.
« Tous s’accordent à dire que le démarrage est difficile. » C’est ainsi qu’un membre du parti présidentiel décrit les débuts du mandat du nouveau chef du gouvernement, François Bayrou, qui a pris ses fonctions à Matignon le vendredi 13 décembre. Cela fait suite à la censure de Michel Barnier le 4 décembre. Depuis sa prise de fonction, Bayrou est confronté à une crise majeure : le passage dévastateur du cyclone Chido à Mayotte.
Avant même sa nomination, une tension s’installe dès vendredi entre Emmanuel Macron et son proche allié. Le nom de François Bayrou, maire de Pau (située dans les Pyrénées-Atlantiques), circule depuis quelques jours pour le poste de Premier ministre, bien qu’aucune confirmation officielle ne soit donnée. Le matin même, Bayrou rencontre le président pour un échange de deux heures. Selon France Télévisions, cette discussion est « très tendue » et d’autres alternatives sont envisagées avant qu’Emmanuel Macron ne se décide finalement à choisir François Bayrou en fin de matinée.
Un affrontement difficile
Réuni avec ses collaborateurs à Matignon vendredi soir, François Bayrou revient sur la confrontation qui a eu lieu au sommet de l’État.
« Il a très vite compris qu’il avait remporté une épreuve difficile face à Emmanuel Macron à qui il a déclaré : ‘Je vous ai rejoint pour accomplir de grandes choses, pas de petites.' »
Un proche de François Bayrouà 42mag.fr
Certains témoins racontent que Bayrou a menacé de quitter la majorité présidentielle « à titre personnel » et d’organiser une conférence de presse immédiatement après, rapporte un député.
Le lendemain, François Bayrou, succédant à Michel Barnier, commence ses consultations institutionnelles pour évaluer la situation politique. Il rencontre des personnalités telles que Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, et Gérard Larcher, président du Sénat. Mais l’actualité avec le cyclone Chido à Mayotte rattrape rapidement le Premier ministre. L’archipel est gravement touché, et les premiers décès sont signalés dans l’après-midi, conduisant à une réunion de crise le soir-même. En conférence de presse, Bruno Retailleau exprime sa crainte que le bilan humain « soit lourd », mais ce que retiennent les médias et les réseaux sociaux, c’est François Bayrou quittant précipitamment la scène alors que le ministre de l’Intérieur démissionnaire prend la parole.
Parallèlement à la gestion de la situation à Mayotte, le Premier ministre tente de rétablir des relations apaisées avec l’Élysée après la difficile « épreuve de force » de vendredi. Dans La Tribune publiée dimanche, François Bayrou exprime son admiration pour Emmanuel Macron, son allié depuis 2017, le décrivant comme un homme audacieux et courageux, ajoutant qu’il est facile de collaborer avec lui. Le nouveau chef du gouvernement insiste également sur l’absence de « conflit » entre les deux principales figures de l’exécutif.
« Êtes-vous vraiment à votre place? »
Sans certitude quant à la durée de son mandat à Matignon, François Bayrou engage rapidement des discussions avec les chefs de partis dès lundi. Est-il possible de s’entendre sur certains textes ou d’intégrer des personnalités d’ouverture au gouvernement? Le Rassemblement National, premier à être consulté, se dit « écouté » et loue une « approche plus constructive » par rapport au passé, tandis que le Parti socialiste refuse de conclure un « pacte de non-censure », fragilisant dès le départ le gouvernement et sa future équipe.
Parallèlement à ces discussions, une controverse émerge dès l’après-midi. François Bayrou prévoit d’utiliser un avion gouvernemental pour rejoindre Pau et assister à une réunion du conseil municipal à 19h. Cependant, à une heure près, se tient à Beauvau une réunion de crise interministérielle concernant la situation à Mayotte, présidée par Emmanuel Macron. Pour répondre aux critiques, l’entourage de Bayrou précise qu’il participera à cette réunion en visioconférence depuis la préfecture, expliquant qu’il avait pris cet engagement « depuis longtemps ».
L’opposition s’empresse de critiquer cette décision. « Les Français méritent un Premier ministre à plein temps, » s’indigne Clémence Guetté, de la France Insoumise, sur les réseaux sociaux. Le député socialiste Arthur Delaporte qualifie cette situation d’« inconvenante et irrespectueuse ». Même parmi les membres du gouvernement, le déplacement du premier ministre à Pau interpelle. « C’est incroyable, surtout suite à son départ précipité de la conférence de presse, » confie une conseillère. D’autres, comme le député du MoDem Richard Ramos, défendent Bayrou en soulignant son attachement aux territoires et sa gestion de la crise à Mayotte. Cependant, au sein même de son camp, certains peinent à justifier cette décision étant donné les pertes humaines à Mayotte.
« Je n’aurais rien fait comme lui. Je serais allé directement à Mayotte. Se rendre à Pau, c’est comme se prendre les pieds dans le tapis. »
Un proche de François Bayrouà 42mag.fr
Malgré la tempête médiatique, François Bayrou se rend bien à Pau, où la séance municipale est diffusée en direct. Ses opposants locaux ne manquent pas de critiquer sa présence. « Ce n’est pas un spectacle, monsieur Bayrou, » déclare l’élu d’opposition Tuncay Cilgi. « La question est : pourquoi êtes-vous ici? Vous n’êtes pas à votre place. Vous devriez être à Mayotte. »
Réfutant les critiques, Bayrou défend sa position en expliquant qu’il s’occupe de la situation à Mayotte tout en étant maire de Pau. Il argue que « abandonner les responsabilités locales, c’est risquer l’isolement. » Il en profite également pour relancer le débat sur la question du cumul des mandats, affirmant que « rendre incompatibles les mandats locaux avec les fonctions nationales était une erreur. » Interrogé sur le sujet, il prétend avoir oublié son opposition passée à ce cumul. Ces propos suscitent d’autres interrogations alors que le gouvernement n’est pas encore formé et que le pays attend toujours un budget, sans compter la crise à Mayotte. « Revenir en arrière sur le non-cumul serait illogique, la règle me paraît juste, » commente un élu MoDem.
« Sous pression maximale »
Interrogé sur la formation du gouvernement, Bayrou fixe comme échéance la semaine en cours, précisant depuis Pau qu’« la présence du président de la République est nécessaire. » Une allusion aux déplacements prévus d’Emmanuel Macron à Mayotte et Bruxelles. L’Élysée réagit en disant être prêt pour la formation du gouvernement. « Nous attendons les propositions du Premier ministre, » déclare un proche du président, soulignant que Macron va mettre Bayrou sous « une pression intense, » commente un parlementaire. À droite, on hésite sur une éventuelle entrée au gouvernement. « Il s’est piégé lui-même avec Macron. Il doit maintenant faire vite, mais nous dirons ‘pas si vite’, » glisse un député.
Sur 42mag.fr, la présidente de l’Assemblée exprime directement son mécontentement à l’égard de Bayrou. « J’aurais préféré que le Premier ministre prenne un avion pour Mayotte plutôt que pour Pau, » dit Yaël Braun-Pivet, se prononçant également contre le cumul des mandats. Cela crée un malaise au sein de la majorité présidentielle. « Une telle attaque à l’encontre du Premier ministre est excessive, » murmure un député EPR. D’autres sont plus virulents. « C’est le chaos. Entre Mayotte et ce conseil municipal, comment est-ce possible? Yaël Braun-Pivet critique, et le président ne le soutient pas… », rapporte un collaborateur parlementaire.
« François Bayrou a déjà été affaibli. »
Un collaborateur parlementaireà France Télévisions
Pendant ce temps, Bayrou poursuit ses consultations avec les groupes politiques à Matignon. La gauche ne se prive pas de le critiquer. Le Premier ministre « n’a donné aucune indication sur les orientations qu’il envisage de prendre. Il met en place sa propre censure, » conclut Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologiste, à la sortie. « Nous avions face à nous un premier ministre qui parlait davantage de Pau que de la France. »
Mardi à 15h, François Bayrou s’engage dans un exercice inédit : répondre seul aux questions des députés, en l’absence de gouvernement. Comme prévu, l’opposition critique vivement son déplacement à Pau. « Vous n’auriez pas dû vous rendre à Pau pour conserver un mandat, » attaque Mathilde Panot de LFI. Bayrou rétorque que « Pau est en France… Si j’avais été à Paris ou à Neuilly, vous n’auriez rien trouvé à redire, » dénonçant une « rupture entre la province et le pouvoir central. »
Le leader du MoDem commet une nouvelle bévue en affirmant qu’« il n’est pas fréquent que le Premier ministre et le président quittent ensemble le territoire national. » Une déclaration moquée par ses adversaires qui soulignent que Mayotte est un département français. À la sortie de l’hémicycle, certains sont ébahis. « C’était terrible, il aurait dû mieux se préparer, » dit un député LR. Toutefois, certains de ses proches restent optimistes. « Critiquer est facile. Bâtir est complexe, et lui, c’est un bâtisseur, » réplique l’un d’eux.
Pour François Bayrou, l’enjeu majeur est désormais de constituer un gouvernement capable de rassembler des personnalités de divers horizons politiques. Après un début jugé hésitant, le Premier ministre sait qu’il n’a plus le droit à l’erreur.
