Sept femmes, dont l’âge varie de 24 à 74 ans, partagent leurs réflexions sur le procès lié aux viols de Mazan. Elles déplorent que la société soit restée insensible face à ce qu’elles décrivent comme un « phénomène de masse ».
Vivre de l’intérieur un procès marquant
«C’est la première fois que je suis un procès d’aussi près : j’ai plongé dedans comme si j’y étais», déclare Chloé, qui réside à Nancy, captivée par les événements d’Avignon depuis le 2 septembre. Elle privilégie les live-tweets sur X pour suivre l’affaire avec minutie. «J’ai traversé toutes sortes d’émotions», avoue cette secrétaire médicale, dont certains témoignages à la barre l’ont bouleversée, surtout quand un accusé suggéra que Gisèle Pelicot était complice de son époux. «J’ai imaginé son tourment en entendant ces horreurs», raconte cette femme de 31 ans, se souvenant de sa propre histoire : elle a été violée à 18 ans par un ami de son compagnon.
Après cette épreuve, elle s’est sentie submergée par la honte et le dégoût de soi. «Je me suis dit que j’étais juste un morceau de viande, traitée ainsi, c’était donc ma faute», narre-t-elle, décrivant une «chute libre dans [sa] vie intime». Pendant une décennie, elle accepte tout de ses partenaires. «Ils venaient, partaient, et je pensais : ‘C’est normal, c’est mon sort’.» Jusqu’à sa rencontre avec son compagnon actuel, lui-même victime d’abus par un supérieur dans les pompiers. «Nous vivons avec ce traumatisme, n’osant en parler autour de nous», confie-t-elle.
Avec le procès, Chloé redécouvre l’estime de soi. La ténacité de Gisèle face au monde entier a été un catalyseur dans son cheminement personnel. «Voir Gisèle si forte, sans se blâmer : cela me redonne confiance. Je ne suis pas coupable», affirme la résidente de Nancy. Elle ajoute : «Je suis fière qu’une telle femme puisse symboliser les victimes de viols.»
Un processus de guérison collective
Chloé n’est pas la seule à avoir été marquée par cette affaire historique. Nombreuses sont celles qui ont témoigné leur ressenti concernant le retentissant procès des agressions de Mazan, dont le verdict est attendu le 19 décembre après quatorze semaines d’audiences relayées mondialement. Le parcours de Gisèle Pelicot résonne profondément chez les victimes de violences sexuelles.
«Dès le premier jour où je l’ai vue à la télé, j’ai voulu la serrer fort», avoue Marie, qui s’est immédiatement sentie en phase avec Gisèle Pelicot. Elle a 74 ans, tout comme la victime, partageant une vie marquée par des expériences traumatisantes. À 19 ans, elle échappa de justesse aux griffes d’un homme grâce à une ruse. Quatre ans plus tard, ce fut un autre cauchemar, victime d’un violeur qui abusait de sa confiance. Dans sa vingtaine, des souvenirs amers, d’avoir été soumise à une agression chimique.
Marie vit avec «les répercussions affectives» de ces événements passés, mais le procès de Mazan fait ressurgir plus que des souvenirs douloureux. La «résilience exemplaire» de Gisèle Pelicot l’apaise.
«Sa force permet à des femmes comme moi de se relever, même sans avoir pu se défendre», affirme Marie, qui sent qu’elle lutte aux côtés de Gisèle.
Julie aussi ressent «une catharsis» face à l’écho de ce procès, et la célèbre phrase de l’avocat de Gisèle — «Il faut que la honte change de camp» — revêt enfin une vraie signification.
Un chemin vers la justice
Victime d’inceste, Julie n’a commencé à parler qu’après la trentaine. Pousser les portes d’un tribunal est son espoir d’avenir, s’inspirant du courage de Gisèle Pelicot. «Saurai-je refuser le huis clos? Saurai-je, comme elle, aborder cette épreuve la tête haute?», s’interroge-t-elle, cherchant à posséder sa détermination.
Pour Anaïs, c’est «la fragilité» de la victime qui l’interpelle, évoquant son propre passé de violence. Les comptes rendus d’audience restent parfois insupportables pour elle. Optimiste au début du procès, elle a été choquée par certaines répliques de la défense, malgré l’évidence des preuves filmées.
Emilie partage cette incompréhension face à «l’adversité» que Gisèle Pelicot doit affronter quotidiennement. Rendre le procès public est pour elle un acte de solidarité extrême envers les victimes.
«Elle est un symbole, même si ce qu’elle endure est brutal», rétorque Emilie, qui porte aussi sa propre affaire en justice.
Un procès qui pourrait éveiller les consciences
Marie-Hélène, de son côté, suit de près cette affaire et se sent désabusée par la société qui découvre le viol comme un problème généralisé. Ayant elle-même souffert de multiples agressions, elle voit dans ce procès la confirmation que ces actes ne sont pas isolés.
«Je pensais avoir juste rencontré des mauvaises personnes. Ce procès démontre que le viol est une terrible pandémie sociale», affirme-t-elle, sans pitié pour les accusés.
Léa, victime d’inceste, souligne l’aspect dangereux de concevoir ces actes comme l’œuvre «d’individus isolés» plutôt que d’un problème de masculinité. «Le sujet, c’est l’éducation des hommes, leur sentiment de domination sociale», déclare-t-elle, espérant que les accusés seront sévèrement condamnés.
Les répercussions de ce procès semblent immenses, promettant de tendre un miroir devant des comportements enracinés dans la société, et ainsi amorcer un changement inévitable.