D’après Véronique Champeil-Desplats, qui enseigne le droit public à l’université Paris-Nanterre, il est possible d’atteindre une nouvelle stabilité en adoptant quelques modifications, et cela sans avoir besoin de toucher à la Constitution.
La Ve République traverse actuellement une période inédite. Les institutions françaises, d’habitude stables, connaissent une instabilité préoccupante : en l’espace de deux ans seulement, trois Premiers ministres ont été remplacés, et un quatrième doit bientôt être nommé. Le tout dernier, Michel Barnier, n’a passé que trois mois à Matignon, ce qui est désormais un record historique. Sa démission fait suite à l’adoption d’une motion de censure le mercredi 4 décembre, un événement sans précédent depuis 1962.
Dans l’espoir de mettre fin à cette impasse politique, le président de la République a organisé des consultations avec plusieurs représentants de partis majeurs, mais les discussions n’ont pas encore abouti. L’Assemblée nationale, divisée en trois groupes de taille quasi identique, complique davantage la situation. Cet épisode met en lumière des critiques envers la Ve République, instaurée en 1958 par le Général de Gaulle. Cette Constitution devait initialement résoudre l’instabilité des IIIe et IVe Républiques, en renforçant les prérogatives de l’exécutif et en centrant le pouvoir autour du président.
Plus de six décennies plus tard, l’efficacité des institutions de la Ve République est remise en question. Est-il nécessaire de réformer ou de remplacer la Constitution ? Véronique Champeil-Desplats, spécialiste en droit public et professeur à l’université Paris-Nanterre, suggère que des changements dans la culture politique pourraient apporter des solutions significatives.
Instabilité politique et limites constitutionnelles
Franceinfo : Michel Barnier, qui vient de démissionner, a été Premier ministre pendant une durée record et très courte. Cette instabilité est-elle due au contexte actuel, ou révèle-t-elle les faiblesses de notre Constitution ?
Véronique Champeil-Desplats : Plusieurs éléments alimentent la perception que nous vivons une crise politique. D’abord, la répartition des partis au sein de l’Assemblée nationale est sans précédent dans notre histoire récente. Ensuite, la montée de l’extrême droite a bouleversé l’équilibre traditionnel entre partis. À cela s’ajoute un problème de représentation politique.
Ces dernières années ont vu un renouvellement profond du personnel politique, qui n’est pas toujours préparé à gérer de telles crises. Cela ne signifie pas pour autant que nos institutions soient incapables de fonctionner sans majorité parlementaire. », »Bien que la Ve République ait longtemps reposé sur une alternance entre droite et gauche, la disparition de cette bipolarité pourrait-elle être révélatrice d’un malaise institutionnel ?
Historiquement, ce modèle politico-institutionnel a certes permis à la Ve République de s’établir, même en période de cohabitation, où le Premier ministre disposait d’une majorité claire pour gouverner.
« La Ve République a été conçue pour fonctionner sans qu’il y ait nécessairement une majorité à l’Assemblée. » – Véronique Champeil-Desplats, droit public, à 42mag.fr
Initialement, l’objectif du général de Gaulle avec la création de cette nouvelle Constitution était de remédier à une fragmentation politique excessive qui entraînait des gouvernements de coalition faibles.
Les défis des nouvelles configurations politiques
Bien que la situation politique actuelle semble inextricable, surtout avec la montée du Rassemblement national (RN), troisième force en présence, est-il possible de constituer un gouvernement stable ?
Historiquement, les coalitions se formaient avec succès entre partis de gauche et de droite, facilitant la gouvernance malgré l’absence d’une majorité claire, à l’exemple du gouvernement de Michel Rocard, soutenu par une alliance diversifiée. Aujourd’hui, l’entrée d’un troisième bloc, attaché aux 124 députés du RN, présente un défi majeur puisque aucun parti ne souhaite s’y associer.
La Constitution limite-t-elle le dialogue possible entre les partis, ou est-ce davantage une question de culture politique ?
Je ne pense pas que ce soit un problème inhérent à la Constitution. Il s’agit plutôt d’un obstacle d’ordre politique. Quand les partis choisissent de ne pas collaborer pour des raisons variées, cela entraîne une véritable impasse.
« Le personnel politique actuel manque d’imagination pour des formes innovantes de gouvernance sans majorité consolidée. » – Véronique Champeil-Desplats, droit public, à 42mag.fr
Il se pourrait bien que la situation actuelle ne soit pas passagère. Cette nouvelle réalité politique devrait être perçue comme un état qui pourrait perdurer et se reproduire. Penser aux gouvernements de majorité relative collaborant efficacement en fonction des textes législatifs pourrait être une voie à explorer.
La place prépondérante du président
Cette centralité du président n’est pas une nouveauté. Nicolas Sarkozy s’est présenté comme un « hyperprésident », et cette centralisation a été renforcée par sa couverture médiatique intense et l’essor des réseaux sociaux. Même François Hollande, qui voulait être un « président normal », a été contraint de naviguer dans ce cadre prédéfini.
Actuellement, malgré les pertes électorales de son parti, le président Emmanuel Macron reste au centre de l’arène politique. Ce paradoxe soulève la question de la définition précise du rôle du Premier ministre.
Si la Constitution peut prêter à des interprétations ambiguës, elle définit bien les prérogatives respectives du président et du Premier ministre. Toutefois, l’équilibre des pouvoirs dépend beaucoup des personnalités en place et des dynamiques politiques. Certaines périodes ont vu des Premiers ministres fermement établis, tandis que d’autres ont connu une influence moindre en fonction des rapports de forces politiques.
Réformes potentielles pour une démocratie efficace
Le rôle secondaire du peuple dans le système de la Ve République est problématique. Les seules expressions de leur volonté surviennent lors des élections, échelonnées tous les cinq ans, et les référendums sont rares.
La manière dont les Français manifestent leur désaccord, essentiellement par les manifestations de rue, souligne cette lacune puisque ces manifestations reçoivent rarement l’attention souhaitée du pouvoir. La fameuse phrase de Nicolas Sarkozy en 2008 résume bien le sentiment gouvernemental face aux grèves : « désormais quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit ».
Une réforme vers un scrutin proportionnel pour les législatives pourrait offrir une meilleure représentation des divers courants politiques, sans nécessiter une révision de la Constitution.
« La proportionnelle faciliterait la multiplication des partis représentés tout en respectant la diversité électorale. » – Véronique Champeil-Desplats, droit public, à 42mag.fr
Il est vrai que la proportionnelle pourrait entraîner une configuration parlementaire similaire à l’actuelle. Néanmoins, elle enverrait un message fort en termes de légitimité, chaque citoyen pourrait voter selon ses convictions propres, sans jeu de stratégie ou d’alliances.
Au-delà de la proportionnelle, d’autres réformes sembleraient nécessaires, passant par une révision constitutionnelle : l’élargissement des référendums initiés par les citoyens, et un renforcement des droits de pétition notamment, afin que les citoyens soient davantage impliqués dans la prise de décisions. Des conventions citoyennes et des mécanismes démocratiques participatifs pourraient également contribuer à resserrer le lien entre les gouvernés et les gouvernants.
Pour une Ve ou VIe République ?
Changer pour une VIe République, comme cela est demandé par des partis comme La France insoumise, ne doit pas se faire dans la précipitation. Il est impératif d’être pragmatique et de se concentrer d’abord sur des mesures qui peuvent revitaliser la démocratie et favoriser une meilleure représentation. Que cela implique une Ve République rénovée ou l’avènement d’une nouvelle République, ces réformes doivent être progressives, compte tenu de la complexité des équilibres politiques actuels.