Le tout récent Premier ministre s’est rendu brièvement dans sa localité et a exprimé son intention de réintroduire la possibilité pour les parlementaires de cumuler plusieurs fonctions. Cette déclaration a suscité une forte réaction et de nombreuses critiques au sein du paysage politique.
Première controverse pour le nouveau chef du gouvernement. Alors que l’attention en France se porte sur la situation à Mayotte, François Bayrou a effectué lundi 16 décembre son premier déplacement officiel depuis sa nomination en tant que Premier ministre, en se rendant à Pau (Pyrénées-Atlantiques) pour participer au conseil municipal de la ville, où il continue d’occuper le poste de maire. Le leader du MoDem s’est prononcé en faveur du retour du cumul des mandats pour les parlementaires, une pratique interdite depuis 2014, et a exprimé son souhait de rester à la direction de la ville de Pau, ce qui lui a valu de vives critiques de plusieurs côtés. Voici les explications sur ces tensions récentes au sein du pouvoir.
La critique la plus virulente est venue de la présidente de l’Assemblée nationale. Lors de son invitation à 42mag.fr mardi matin, Yaël Braun-Pivet a fermement reproché les positions adoptées par le nouveau Premier ministre. Elle a déclaré : « Quand on occupe une fonction, il faut s’y consacrer pleinement », réaffirmant sa réticence au cumul des mandats.
« Je pense qu’il ne faut pas rouvrir ce dossier, ce n’est vraiment pas le moment. »
Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationalesur 42mag.fr
Ces propos fermes font écho aux déclarations faites la veille par François Bayrou à Pau. Il avait affirmé : « Nous avons commis une erreur en rendant les responsabilités locales et nationales incompatibles, c’est une faute. (…) Je pense qu’il est nécessaire de relancer ce débat », ajoutant qu’il a l’intention de soulever la question du cumul des mandats dans sa déclaration de politique générale.
Il a ajouté à la presse : « Je l’envisage sans accumuler les indemnités ». Il a aussi proposé aux membres futurs de son gouvernement de conserver leurs mandats et a suggéré que les autres responsables « gardent une présence sur le terrain ».
Un sujet « qui n’est pas prioritaire »
À l’heure actuelle, l’article 23 de la Constitution interdit à un ministre d’exercer parallèlement un mandat parlementaire. Le Premier ministre a justifié son point de vue en parlant de la séparation entre la population française et les autorités « mur de verre » qui nourrit « une méfiance profonde envers le monde politique, toutes formations confondues ».
« Il est essentiel de reconnecter les responsabilités politiques aux réalités locales, que ce soit dans les villes, les villages ou les quartiers. »
François Bayrou, Premier ministredevant la presse
Ces arguments ne manquent pas de provoquer des réactions négatives, surtout à gauche. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, interrogé sur France 2 lors des « 4 Vérités », a trouvé cette déclaration « déraisonnable ». Pour lui, « le Premier ministre s’est perdu en abordant un sujet qui n’est prioritaire ni pour la période actuelle, ni pour les Français ». Raquel Garrido, ancienne députée insoumise, a critiqué sur le réseau social X la proposition du Premier ministre qu’elle qualifie de « tentation désastreuse ».
Sur Public Sénat, le centriste Hervé Marseille a essayé de tempérer le débat. « C’est anormal que tout devienne polémique », a-t-il estimé, président de l’UDI. De son côté, Laure Lavalette, députée du Rassemblement national, a déclaré sur TF1 qu’il serait probablement « possible » de cumuler les fonctions de député et de maire « en dessous d’un certain seuil » de population.
Un déplacement « symboliquement dramatique »
La question du cumul des mandats n’est pas le seul point de tension. La décision de François Bayrou de continuer à être maire de Pau tout en assumant la fonction de Premier ministre fait également débat. La législation autorise le cumul de ces fonctions, bien qu’une réforme constitutionnelle visant à l’interdire ait été « votée à l’unanimité » par les députés en 2018, bien que sans aboutissement, souligne la présidente de l’Assemblée nationale.
Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, a estimé que « S’accrocher à ce poste de maire, (…) M. Bayrou commet une grave erreur », une « faute politique notable » et « symboliquement dramatique », a-t-il exprimé sur Sud Radio. À Pau, les critiques locales se font entendre : le socialiste Jérôme Marbot, conseiller municipal d’opposition, a déclaré que « Notre ville a besoin d’un maire présent quotidiennement, impliqué dans les dossiers ».
Sa présence au conseil municipal de Pau alors que perdure la crise à Mayotte n’a pas non plus plu. Bien que l’entourage de Bayrou ait confirmé à 42mag.fr qu’il participait à distance à la réunion de crise via « visioconférence » depuis la préfecture des Pyrénées-Atlantiques, cela n’a pas suffi à apaiser les critiques.
Yaël Braun-Pivet a exprimé sa déception en affirmant : « J’aurais préféré que le Premier ministre prenne un avion pour Pau plutôt qu’un avion pour Mamoudzou ». Thibault Bazin, député Les Républicains, a réagi sur X en indiquant que le conseil municipal pouvait se passer de la présence de son maire étant donné la situation à Mayotte et l’urgence de former rapidement un gouvernement pour établir un budget pour la France. François Bayrou a aussi fait face à des remarques lors de sa présence au conseil municipal.
Même dans les corridors des ministères, cette décision a été critiquée, alors que François Bayrou s’affaire encore à constituer son équipe gouvernementale. « C’est sidérant », a commenté une conseillère ministérielle auprès de 42mag.fr. Néanmoins, un élu MoDem a défendu le Premier ministre : « Aller à Mayotte aujourd’hui n’a que peu de sens dans l’urgence actuelle. Que le ministre de l’Intérieur s’y rende, c’est bien, que le Premier ministre reste à Paris pour piloter la situation, cela me paraît logique », a-t-il expliqué, ajoutant que « tout le monde s’empresse de s’enliser dans la première controverse ».