Lorsque le film, inspiré d’un ouvrage de Blier, est sorti, il a provoqué un véritable choc parmi les critiques. Cependant, cela ne l’a pas empêché de séduire largement les spectateurs, attirant près de 6 millions de personnes dans les salles de cinéma.
Œuvre choquante ou célébration exubérante de la liberté sexuelle ? Lors de sa sortie en 1974, Les Valseuses de Bertrand Blier a captivé les foules tout en semant la controverse, et continue d’alimenter les débats cinq décennies plus tard, à l’ère de #MeToo et des discussions passionnées sur la représentation des femmes dans le cinéma.
Dès son appellation, qui fait référence à des parties intimes masculines, le film le plus emblématique de Blier, disparu le lundi 20 janvier à 85 ans, pose un ton audacieux et chargé pour un road-movie présentant un trio atypique : deux marginaux aux comportements lubriques incarnés par Gérard Depardieu et Patrick Dewaere, accompagnés d’une jeune femme présentée comme frigide jouée par Miou-Miou. Lors de sa projection en pleine période de montée du féminisme et de libération sexuelle, l’œuvre, qui est une adaptation du roman de Blier publié deux ans plus tôt, a offensé les critiques tout en rencontrant un succès phénoménal auprès du public avec environ 6 millions de spectateurs.
Une nouvelle interprétation à l’ère de #MeToo
À notre époque, certaines répliques telles que « Il doit bien y avoir quelqu’un qui nous attend quelque part », « On aura envie quand ça nous prendra », ainsi que des scènes comme celle où Dewaere est forcé de téter le sein de Brigitte Fossey dans un train, sont perçues par certains comme la quintessence d’un sexisme sans complexe qui régnait à cette époque dans le cinéma.
Geneviève Sellier, une universitaire spécialiste des études de genre, y perçoit une « exaltation du masculinisme sous sa forme la plus grossière et provocante ». Elle confie à l’AFP : « Le génie de Blier a été d’aller à contre-courant du mouvement féministe avec le personnage de Miou-Miou, réduit à un rôle d’objet sans réaction, tout en masquant des actes d’agression sous un vernis burlesque et l’apparence de deux protagonistes aux marges de la société. »
Sur la plateforme de La Cinétek en 2020, Cédric Klapisch, un réalisateur contemporain, refusait de résumer Les Valseuses à son aspect machiste, bien qu’il le reconnaisse. « Il existe un angle où le plaisir féminin est exprimé comme rarement dans d’autres films », expliquait-il, tout en défendant une « liberté d’expression délicieusement dérangeante » mais également « stimulante ». « Ce film explore la notion de liberté jusque dans ses retranchements », ajoutait-il.
« Un film aimé ou rejeté »
Durant une interview pour Europe 1 en février 2024, Miou-Miou s’est exprimée sur le tournage de Les Valseuses, ponctué de « conflits physiques », ainsi que sur les techniques « très dégradantes » employées par Blier. Elle demeurait néanmoins ferme sur son opinion: « Bien sûr qu’il est essentiel de diffuser Les Valseuses. » Quelques semaines plus tard, sur France 2 en mars, Brigitte Fossey refusait de revoir la scène du train qu’elle qualifiait d’« horrible, absolument horrible ».
Interrogé par Konbini en 2022, Bertrand Blier ne reniait rien de la « violence unique » qui traversait son film, le comparant à l’essence perturbatrice d’Orange Mécanique de Kubrick. Cette œuvre lui avait valu d’être qualifié à l’époque de « nazi ». Il expliquait que son film était un portrait de « l’état d’abrutissement des hommes à travers les âges ». Il concluait sur une idée forte : « Les Valseuses est un film qui, en fonction des sensibilités, a été adoré ou détesté car il bousculait les normes avec une audace de voyou pendant plus de 90 minutes. »