Lundi, on a posé des questions à l’ex-président concernant les possibles concessions diplomatiques liées à l’accord de corruption supposé avec l’ancien dictateur libyen, maintenant décédé.
Les Investigations Continues sur Nicolas Sarkozy
Malgré les multiples heures d’interrogation – entre « 50 et 60 heures » durant l’instruction et « 13 ou 14 heures » au tribunal -, Nicolas Sarkozy affirme qu’il a encore de nombreux « éléments et détails » à apporter. Lors du dixième jour du procès concernant le financement présumé de sa campagne de 2007 par la Libye, l’ancien président a été interrogé sur les possibles contreparties diplomatiques d’un pacte de corruption qu’il aurait supposément conclu avec Mouammar Kadhafi. L’accusation met en avant la réintégration du dictateur libyen sur la scène internationale, en soulignant la libération des infirmières bulgares et la visite de Kadhafi à Paris après l’élection de Sarkozy.
Appuyé par ses notes, l’ex-Président fournit une chronologie des relations diplomatiques entre la France et la Libye : dès 2002, Jacques Chirac, nouvellement réélu, en fait « un axe principal » de sa politique étrangère ; en 2003, l’ONU, sous impulsion française, « allège les sanctions » sur la Libye ; en 2004, ont lieu « six rencontres entre la France et la Libye ». En 2005, « cinq rencontres similaires » se déroulent, rapporte Nicolas Sarkozy, évitant de parler de sa visite à Tripoli le 6 octobre 2005, déjà couverte lors d’un précédent interrogatoire. Il en tire deux déductions : le retour de la Libye dans la communauté mondiale était antérieur à son influence et concernait « l’ensemble du monde ».
« Je voulais libérer ces femmes innocentes »
Les magistrats s’interrogent sur l’accélération d’un dossier en suspens depuis longtemps après la visite de l’automne 2005 : celui des cinq infirmières bulgares et d’un médecin palestinien condamnés en Libye depuis 1999 pour prétendue transmission du sida. Nicolas Sarkozy déclare qu’après avoir rencontré leurs familles le 26 avril 2007, en pleine campagne présidentielle, il s’était promis de les libérer s’il l’emportait. « J’étais touché par cette rencontre, mon but était de libérer ces femmes totalement innocentes, accusées à tort », justifie-t-il. Quant à l’implication de son ex-épouse Cécilia Attias dans cette libération, Sarkozy invoque la vie privée : le couple était au bord du divorce à cette époque. Le 24 juillet, l’éphémère Première dame accompagne les infirmières dans un avion français vers la Bulgarie.
« Il fallait sortir ces malheureuses de ce calvaire abominable, j’ai pensé que ça pourrait aider, et ça a eu un effet bénéfique. »
Nicolas Sarkozyau tribunal correctionnel de Paris
L’enquête parlementaire et les investigations sur cette libération ont mis au jour le rôle de l’Union européenne, qui s’efforçait depuis des années d’extraire ces prisonnières. Que répond Nicolas Sarkozy à ceux qui prétendent qu’il a « envoyé Cécilia pour des infirmières déjà libérées » ? « Il faut constater que la Commission européenne n’avait pas abouti. Mon intervention modeste a abouti à la libération. Considérons cela comme un succès partagé », avance l’ancien président, affirmant que « le fruit était mûr ». Une version soutenue à l’époque par José Manuel Durao Barroso, président de la Commission européenne, selon Libération.
« Tensions constantes du début à la fin »
Sarkozy insiste que « sans la libération des infirmières, Kadhafi n’aurait jamais été à Paris » fin 2007. Il souligne que le dictateur libyen avait également campé sa tente récemment à Lisbonne et dans les « jardins royaux » d’Espagne. Sarkozy précise qu’il ne s’agissait « pas d’une visite d’État » et que la France n’a ni « payé » ni « planifié » les excursions en « bateau-mouche », la « visite au Louvre » ou « la chasse à Rambouillet », qui étaient à la charge de « la partie libyenne ». Selon lui, cette visite fut fastidieuse, « complexe à gérer à cause d’un personnage imprévisible ».
« Élu récemment, avec une énorme ferveur et des tâches considérables, me retrouver avec Kadhafi durant deux jours et demi à Paris, franchement, ça n’a pas été de tout repos. »
Nicolas Sarkozyau tribunal correctionnel de Paris
Malgré cette explication, un procureur du Parquet national financier demande directement : « Cette visite est-elle le résultat d’un accord frauduleux ? Je dois poser la question. » Se disant « offusqué », Sarkozy rétorque qu' »à aucun moment, cette visite ne peut être interprétée comme celle de partenaires retrouvant après un accord avantageux. Du début à la fin, elle fut pleine de tensions. » Toutefois, ce « chemin de croix » valait le coup, soutient-il, parce que « ce qu’on retiendra, c’est que les infirmières bulgares et le médecin palestinien ont été libérés. »
Sarkozy explique n’avoir plus eu de contact avec Kadhafi après cet épisode, le leader libyen ayant été le seul dans le monde arabe à boycotter son sommet « exceptionnel » de l’Union pour la Méditerranée en 2008. Il souligne qu’il n’y a eu « aucun commencement d’une quelconque collusion » avec le dictateur. « L’idée qu’il pouvait m’influencer tombe dès que l’on voit la pression que j’ai mise pour les infirmières et sur les droits de l’homme », affirme-t-il, défendant la « realpolitik » et la nécessité de dialogues avec « les États voyous ».
Sarkozy assure qu’il n’a plus eu de nouvelles de Kadhafi durant la suite de son mandat. « Avant 2011, personne ne parle d’un quelconque financement de ma campagne », affirme-t-il. Selon la défense, le clan Kadhafi se serait vengé de la reconnaissance par Sarkozy du Conseil national de transition libyen et de son rôle dans l’intervention internationale. Le tribunal dispose encore de plusieurs semaines pour examiner cette hypothèse.