L’irritation se répand dans tous les studios de production en France, qui pointent du doigt des problèmes similaires. En réponse, le Syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV) organise des manifestations jeudi dans plusieurs localités.
Le secteur du jeu vidéo connaît une interruption majeure d’activité jeudi 13 février. Le Syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV) exhorte les employés de tous les studios français à arrêter le travail, avec des manifestations planifiées dans plusieurs métropoles comme Bordeaux, Paris, Lille, et Nantes. Bien que quelques studios aient déjà été confrontés à des actions sociales ces derniers mois, cette fois-ci, la colère semble commune à l’ensemble de l’industrie. Burn-out, manque d’effectifs, licenciements… Les travailleurs, quel que soit leur studio, dénoncent des problèmes similaires.
Nicolas, qui travaille comme programmeur depuis 13 ans, a fait face à deux épuisements professionnels en raison, selon lui, de plannings irréalisables. « Les tâches censées être exécutées en deux semaines en prendront en réalité trois, mais ceci ne sera pas pris en compte dans le calendrier des projets, regrette-t-il. Cela signifie que pour le prochain projet, on continuera à penser que cette tâche ne nécessite que deux semaines. » Pour respecter ces délais, les travailleurs se voient contraints de suivre des rythmes de travail effrénés. « En accumulant les heures et en empiétant sur le temps familial, certains se consument quotidiennement », déplore-t-il.
Opacité et mauvaise administration
Les syndicats critiquent également la faiblesse des rémunérations, le manque de clarté et les nombreux licenciements. En pleine difficulté financière, le studio parisien Don’t Nod a annoncé pour 2024 un plan de réduction d’un quart de son personnel et une baisse des objectifs, explique Alexandre, un de ses designers. « Il y a un an, chez Don’t Nod, on nous promettait cinq projets simultanés, maintenant, on ne parle plus que de deux », se lamente-t-il.
Pour Alexandre, cette réduction de personnel est le résultat d’une gestion maladroite de la période post-Covid. « Pendant le confinement, le jeu vidéo était le passe-temps principal pour beaucoup. Toutes les entreprises ont connu une forte croissance, pensant que cette tendance perdurerait. Maintenant, c’est le retour à la réalité. »
Selon le STJV, cette grève nationale représente un événement « sans précédent » dans l’histoire de l’industrie du jeu vidéo. « C’est une première historique dans notre secteur« , affirme Vincent Cambedouzou, délégué du STJV chez Ubisoft, lors d’une intervention sur France Inter. « Des mouvements sociaux ont eu lieu, mais c’était par studio. Une mobilisation nationale a déjà eu lieu chez Ubisoft, toutefois, jamais l’industrie entière n’a participé à un événement de cette ampleur au niveau national. C’est une suite logique des mobilisations locales pour les unifier en une seule grande journée collective. »
« Nous avons presque tous un niveau d’études équivalent bac+5, et pourtant, nos salaires ne sont pas du tout à la hauteur. L’âge moyen dans l’industrie du jeu vidéo n’augmente pas parce que tout le monde quitte après quelques années, un peu désabusé et résigné d’avoir pensé pouvoir exercer un métier de rêve, pour finalement en repartir déçu »
Vincent Cambedouzou, délégué du STJV chez Ubisoftsur France Inter
Le STJV, qui ne comptait qu’une cinquantaine de membres en février 2018, en revendique désormais plus d’un millier. « Il y a encore huit ou dix ans, le secteur du jeu vidéo était dépourvu de présence syndicale« , indique le syndicaliste. « Jusqu’à récemment, ceux qui parlaient de l’industrie du jeu vidéo étaient soit les dirigeants, soit des personnes n’ayant pas directement participé à la production des jeux. C’est un travail que nous aimons faire, cependant, l’organisation est chaotique. Nous pourrions améliorer les choses avec de meilleures conditions de travail, ce serait avantageux pour nous et pour les joueuses et joueurs« , conclut Vincent Cambedouzou.