En 2024, la France a acheté pour un minimum de 2,7 milliards d’euros de gaz naturel liquéfié en provenance de Russie. Parallèlement, elle a offert à l’Ukraine une assistance militaire dont la valeur se situe entre 2 et 3 milliards d’euros.
La France pourrait-elle compromettre ses initiatives pour soutenir l’Ukraine face à la Russie à cause de sa forte consommation d’énergies fossiles ? C’est ce qu’a laissé entendre Marine Tondelier, responsable nationale des Écologistes-EELV, lors de son passage sur 42mag.fr le mardi 25 février. Elle a en effet déclaré : « La France est en tête des importateurs de gaz naturel liquéfié (GNL) russe. En achetant ce gaz, nous finançons davantage Poutine que nous ne soutenons militairement l’Ukraine. » Cette affirmation pose question : quel est le montant des importations françaises de GNL russe, et comment se compare-t-il à l’aide militaire à l’Ukraine ?
Pour l’année 2024, il n’existe pas encore de statistiques officielles précises concernant les importations de GNL russe en France. Selon un rapport sur le commerce extérieur provenant des Douanes, publié début février, bien que la France ait cessé d’importer du pétrole et du gaz russe à l’état gazeux, ses importations de GNL en provenance de Russie ont, elles, augmenté, sans toutefois fournir de chiffres exacts.
Augmentation significative des importations françaises de GNL russe
Cette augmentation est également corroborée par l’Institute for Energy Economics and Financial Analysis (IEEFA), un institut américain spécialisé dans l’énergie, qui publie un tableau de bord des importations de GNL en Europe à partir de données accessibles publiquement. Le rapport de l’IEEFA, que 42mag.fr a pu consulter, souligne une augmentation de 18% des importations européennes de GNL russe en 2024. Avec au moins 2,68 milliards d’euros investis dans le GNL russe, soit de janvier à novembre 2024 seulement, la France s’affiche comme le premier point d’entrée de cette énergie en Europe, surpassant l’Espagne, et ce, avec une hausse de 81% par rapport à 2023. En 2024, la Russie représentait environ 34% des importations françaises de GNL.
Dans le même temps, en vertu d’un accord de sécurité signé avec Kiev en février 2024, la France avait promis jusqu’à 3 milliards d’euros d’aide militaire à l’Ukraine pour l’année en cours. Cependant, en octobre, cet engagement a été revu à la baisse. Lors d’une audition parlementaire, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a indiqué que l’aide s’élèverait « à plus de 2 milliards d’euros », mais pas aux 3 milliards initiaux. Ces chiffres, encore actuels selon le ministère des Armées interrogé par 42mag.fr, ne sont pas précisés davantage et intègrent notamment « la valorisation des équipements fournis, des formations et nos contributions financières ».
« Mettre Poutine sous pression financière. »
Les données disponibles ne permettent pas de trancher si les importations françaises de GNL russe surpassent l’aide militaire fournie à l’Ukraine. Cependant, les estimations montrent des montants de même ordre pour l’année 2024. Selon des proches de Marine Tondelier, interrogés par 42mag.fr, celle-ci s’est surtout appuyée sur ces évaluations pour critiquer le paradoxe de la situation : « On reprend d’une main ce que l’on donne de l’autre. » Elle ajoute, « Depuis le début, l’affaiblissement économique de Poutine est crucial. Mais notre dépendance énergétique à la Russie, et à d’autres régimes répressifs, fragilise aussi bien l’autonomie stratégique de l’Europe que son soutien effectif à l’Ukraine.«
La part du GNL dans les importations françaises a notablement progressé en 2022, selon le ministère de la Transition écologique, face à la réduction des exportations de gaz russe vers l’UE. Pour compenser, l’Europe s’est tournée vers le GNL, qui est transporté par bateau sous forme liquide, avant d’être regazéifié dans les ports et ajouté au réseau gazier européen. La France, avec ses cinq terminaux de regazéification, est idéalement équipée pour cela et redistribue une portion du GNL, notamment vers l’Allemagne, selon l’IEEFA.
Un avenir sans gaz russe à l’horizon 2027 ?
Pourrait-on envisager une France sans GNL russe ? Les sources d’approvisionnement en GNL sont déjà variées : en 2024, 38% provenait des États-Unis, 34% de la Russie et 17% de l’Algérie, selon l’IEEFA. Marine Tondelier suggère que la France pourrait s’approvisionner davantage au Qatar, explique Ana Maria Jaller-Makarewicz, analyste pour l’Europe à l’IEEFA. En effet, la proportion du Qatar dans les importations françaises est passée de 2,22% en 2023 à 0,37% en 2024, probablement en raison des attaques en mer Rouge par des rebelles houthis du Yémen. « Le commerce dans cette zone se rétablit progressivement, » note la spécialiste.
En 2022, l’Union européenne s’était fixé pour objectif de renoncer aux énergies fossiles d’origine russe d’ici à 2027, en réaction à l’agression de l’Ukraine. Le rapport de l’IEEFA recommande de cesser les « achats de court terme de GNL russe par la France, l’Espagne et la Belgique », qui représentent 85% des importations européennes. « Tant qu’une interdiction claire ne sera pas établie par l’Europe, les importations continueront, » anticipe Ana Maria Jaller-Makarewicz, qui soutient également une transition vers les énergies renouvelables.