Le chef du gouvernement incite à discuter de la question de l’immigration, tout en évitant de se concentrer exclusivement sur la problématique du droit du sol. Il est incertain que la proposition de François Bayrou réussisse à calmer le chaos qui règne actuellement parmi les membres de sa coalition, car ce sujet est au cœur des divergences depuis quatre décennies.
François Bayrou désire engager une vaste discussion autour de l’immigration. Pour le chef du gouvernement, c’est sans doute un challenge audacieux. En premier lieu parce que, au sein de son cabinet, les avis sur l’immigration sont presque aussi divers que le nombre de ministres, soit 35 ! Le dimanche 9 février, par exemple, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, a exprimé qu’il n’apercevait « aucune raison » de durcir les lois concernant le droit du sol. De plus, sa collègue en charge de l’Éducation, Élisabeth Borne, a manifesté, elle aussi, son opposition à toute modification constitutionnelle, bien que cette réforme soit soutenue par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, ainsi que par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. François Bayrou souhaite dissiper ce brouhaha en initiant une discussion bien plus étendue qui dépasse la simple question du droit du sol, abordant l’immigration sous tous ses aspects.
Cette démarche rappelle le débat autour de « l’identité nationale » initié à l’automne 2009 sous la présidence de Nicolas Sarkozy par Éric Besson, alors ministre en charge de l’Immigration et de l’identité nationale. Ces trois mois de dialogue avaient vite dégénéré en un exutoire anti-immigrant, avec une rhétorique virulente qui culmina quelques mois plus tard, le 30 juillet 2010, quand Nicolas Sarkozy prononça son discours à Grenoble, établissant un lien direct entre criminalité et immigration. À cette époque, François Bayrou s’était indigné de « l’exploitation politique » de la thématique de « l’identité nationale », affirmant : « Rien n’est pire que d’en faire un enjeu de confrontation politique ». Quinze années plus tard, il se risque à rallumer cette flamme.
Le danger de l’escalade
Marine Le Pen cherche à surenchérir. Elle revendique un référendum sur l’immigration, ce qui serait inconstitutionnel. En effet, un référendum ne peut se tenir que sur des questions économiques, sociales et environnementales, l’organisation des pouvoirs publics ou l’approbation des traités. Marine Le Pen souhaite s’en servir pour instaurer la « préférence nationale », c’est-à-dire réserver exclusivement aux citoyens français les emplois, logements et aides sociales, ainsi qu’abolir le droit du sol. De son côté, Gérald Darmanin a réitéré dimanche que « devenir Français ne devrait pas être automatique », bien que ce ne soit déjà pas le cas. En réalité, le droit du sol, ancré dans les valeurs de notre République, n’a jamais été contesté depuis une loi de 1889. Il concerne environ 30 000 personnes par an parmi 68 millions d’habitants, soit moins que les 40 000 naturalisations effectuées chaque année. Le paradoxe réside dans le fait que la suppression du droit du sol, cette base, ce catalyseur de fabrication de Français, aurait comme première conséquence l’augmentation du nombre d’étrangers sur le territoire national.
Cependant, depuis quatre décennies, mener un débat clair et serein sur l’immigration, sans fantasmes ni escalade verbale, est un défi que personne n’a encore relevé. Dans le climat politique actuel, rien n’assure que François Bayrou réussira à le faire.