Les entretiens médiatiques représentent un moment important dans le paysage politique, ce que l’intervention d’Emmanuel Macron de ce dimanche soir a encore une fois illustré. Il est souvent pertinent de se demander comment ces entretiens sont élaborés et orchestrés. Selon Nathalie Saint-Cricq, qui est éditorialiste politique pour France Télévisions, il y a une façon spécifique de mener une interview classique.
Préparation des interviews politiques
42mag.fr : Comment vous apprêtez-vous pour les interviews politiques ? Fournissez-vous les questions en avance aux personnes interrogées ?
Nathalie Saint-Cricq : Absolument pas, nous ne transmettons jamais les questions en avance. Ce que nous faisons au mieux, pour assurer le bon déroulement de l’interview, c’est de communiquer les thématiques (par exemple, discuter de l’immigration, de l’environnement…) en sachant pertinemment qu’il est impossible de traiter tous les sujets. Par conséquent, il est clair que je ne fournirai jamais mes questions afin de leur permettre de se préparer…
Ensuite, je m’appuie sur une solide base de connaissance de l’actualité, et je m’efforce de réécouter les déclarations récentes de l’invité. Si, par exemple, il s’agit de François Bayrou, cela implique de revoir toutes ses interventions précédentes, pour identifier les éléments manquants et faire progresser la discussion. Le but n’est pas de briller en tant qu’intervieweuse, où le politique répèterait constamment les mêmes propos et je serais satisfaite de mes questions… L’objectif est, en général, de faire progresser l’entretien, éventuellement de relever des contradictions, de demander des précisions : « Pouvez-vous expliquer ? Vous avez affirmé telle chose à l’Assemblée, et ailleurs vous avez indiqué ceci, quelle est votre position exacte ? » Ou bien de susciter une réaction : « Bruno Retailleau a déclaré ceci, quelle est votre réponse ? », « Olivier Faure a dit cela, qu’en pensez-vous ? »
En somme, la démarche est assez simple : d’abord, il est crucial de poser des questions brèves – un entretien passe rapidement et l’essentiel est d’écouter le politique, non pas le journaliste. Les questions doivent, bien entendu, être complètement libres. Ensuite, il est important de ne pas se référer constamment à ses notes pour préparer la question suivante. Il faut écouter attentivement ce que l’interviewé dit pour pouvoir réagir spontanément et demander des clarifications : « Pardon, je n’ai pas saisi, cela manque de clarté. »
En réalité, il s’agit d’être interactif, comme dans une conversation normale, où, tant que nous n’avons pas les réponses désirées, nous persévérons. Cela doit se faire sans agressivité ! En permettant à l’interlocuteur de s’exprimer, tant que cela ne s’étend pas sur des heures.
Ne pas laisser le discours s’étendre indéfiniment
Le but n’est donc pas de simplement laisser la personnalité politique dérouler son discours préparé…
Effectivement, il peut exposer son discours préparé, à condition que cela réponde à la question. Cependant, il est crucial de ne pas confondre discours préparé et langue de bois. Un discours préparé, c’est une formule concise qui peut répondre efficacement à une question, comme le célèbre « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy. C’était un discours préparé, mais qui résumait succinctement, presque comme une publicité bien faite, une position politique.
Si l’interviewé se contente de réciter un texte formaté qui n’apporte pas de réelle réponse à la question, il est vital de lui rappeler que nous sommes dans le cadre d’une interview, avec des questions précises. Si les réponses ne sont pas au rendez-vous, il faut insister. Lorsqu’une réponse a été répétée ad nauseam, il est pertinent de signaler que l’on connaît déjà cette réplique. C’est la marque d’une bonne interview de commencer par l’identifier : « Je sais que vous allez dire… mais qu’en est-il de… » Connaître les interviews passées est donc bénéfique pour anticiper leurs réponses.
Si l’on tombe dans un dialogue monotone, il est tout à fait possible, pour optimiser le temps, de relancer l’interlocuteur : « Vous considérez que le sujet est trop intime pour légiférer… Mais au-delà de ces propos récurrents depuis trois mois, quelle est votre action ? Préparez-vous un projet de loi ? » Je crois que c’est ainsi qu’il faut aborder les choses.
Chercher le sens dans les punchlines
Donc, est-ce que le but ultime est de faire émerger une phrase marquante ou percutante ?
La phrase marquante est celle qui a une signification. Dans le monde des punchlines, il y a de tout… Certaines, en y regardant de plus près, ne signifient rien. On dirait des slogans publicitaires – « quand c’est trop c’est Tropico », cela n’a pas de sens mais reste en tête. En revanche, la force d’une bonne punchline est qu’elle synthétise une position. Dire « l’immigration n’est pas une chance pour la France », c’est effectivement une punchline marquante, pleine de signification (qu’on soit d’accord ou non).
Ces punchlines sont intéressantes pour la personnalité politique… pas forcément pour le journaliste. Ce qui nous importe, c’est d’obtenir une réponse précise. Le déficit sera-t-il de 5 %, de 6 %… Que la réponse soit bien tournée, pourquoi pas, mais le journaliste cherche avant tout l’information, et l’interview est un moyen indispensable de la découvrir, en confrontant le personnage politique à ses déclarations antérieures ou à celles d’autres politiciens.