Trois jours seulement après avoir été équipé d’un bracelet électronique, l’ancien chef de l’État s’est présenté au tribunal. Lors de l’audience de lundi, il a été questionné au sujet des déclarations de certains dignitaires libyens qui affirment que sa campagne présidentielle initiale a bénéficié de fonds provenant de leur pays. Une fois encore, il a vigoureusement rejeté toutes ces allégations.
« Je n’ai jamais bénéficié d’aucun apport financier venant de la Libye. » Nicolas Sarkozy maintient cette affirmation avec insistance depuis le début de son procès, répétant que « jamais, jamais, jamais » il n’a reçu « un centime » lié au régime de Mouammar Kadhafi ou à la Libye pour financer sa campagne présidentielle de 2007. Jugé pour des accusations incluant la corruption passive, le financement illicite de campagne électorale et association de malfaiteurs, l’ancien président de la République a réitéré ces propos devant le tribunal correctionnel, le lundi 10 février, plus d’un mois après le commencement des audiences.
Le nouvel interrogatoire de Sarkozy était particulièrement attendu, intervenant trois jours après qu’il a été placé sous surveillance électronique suite à sa condamnation définitive à un an de prison pour corruption et trafic d’influence dans l’affaire dite des « écoutes téléphoniques ». Son bracelet électronique se discerne à peine sous sa chaussette noire droite lorsqu’il est assis sur le banc des accusés, mais disparaît sous son pantalon lorsqu’il se lève.
« Rumeurs et commérages »
Nicolas Sarkozy, se tenant devant le pupitre, est interrogé par la présidente du tribunal, Nathalie Gavarino, sur l’origine de l’affaire : les allégations de financement venant de Mouammar Kadhafi au moment de la chute de son régime en 2011, et celles réitérées par son fils Seif al-Islam lors d’une interview radiophonique en janvier. Sarkozy affirme qu’il ne l’a « jamais rencontré » et n’a « jamais conversé » avec lui. « Je ne dis pas que vous avez rencontré Seif al-Islam : il pourrait très bien passer par des intermédiaires sans vous voir personnellement », lui répond Nathalie Gavarino.
« Lesquels ? Où ? Quand, de quelle manière ? Madame, la réponse est non. »
Nicolas Sarkozydevant le tribunal correctionnel de Paris
En 2012, durant l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, Mediapart avait révélé l’existence d’un prétendu accord de financement à hauteur de 50 millions d’euros pour la campagne de Sarkozy, basé sur un document officiel libyen. La même année, sept anciens hauts responsables libyens ont soutenu cette thèse. Nathalie Gavarino rappelle les éléments majeurs de leurs témoignages et demande à l’accusé de réagir. « Qui sont ces individus, quelle est leur fiabilité ? 50 millions d’euros à Genève, cela n’a aucun sens. C’est gênant pour la justice française que des individus racontent n’importe quoi ! », réplique Sarkozy avec véhémence.
Sous le coup de l’émotion, l’ex-président hausse le ton : « Madame, je dois demeurer calme, respectueux, mais à un moment, c’est trop, c’est trop ! Les innocents ont le droit de s’insurger ! » Pour lui, « ce ne sont que des rumeurs et des commérages » : « S’il y avait quoi que ce soit, on aurait découvert des traces de virements. »
« L’idée d’un transfert de 50 millions d’euros sans laisser de trace est une idée saugrenue, saugrenue ! »
Nicolas Sarkozydevant le tribunal correctionnel de Paris
Nicolas Sarkozy est également longuement confronté au contenu des carnets de Choukri Ghanem, ancien ministre du Pétrole libyen, retrouvé mort dans le Danube à Vienne en 2012. L’un des documents évoque trois versements en faveur de l’ex-président, pour un total de 6,5 millions d’euros. « S’agit-il d’un journal falsifié, d’un faux ? Quelle est votre explication ? », interroge la présidente. « Je n’ai aucun élément en main pour en débattre, je n’ai jamais vu ce carnet », répond Sarkozy, précisant que « ces écrits » lui apparaissent « suspects ».
Une campagne sans lien avec de tels financements
La présidente Nathalie Gavarino interroge ensuite Nicolas Sarkozy sur le compte aux Bahamas appartenant à Thierry Gaubert, un de ses anciens collaborateurs à la mairie de Neuilly. L’accusation suppose que l’argent libyen aurait transité par le compte de la société Rossfield, dont Ziad Takieddine, un intermédiaire franco-libanais, serait le bénéficiaire final. Ensuite, une partie aurait rejoint un compte nommé Cactus aux Bahamas pour finalement financer la campagne de Sarkozy via des retraits en liquide.
« Je n’ai rien à voir avec le compte Rossfield ou le compte Cactus. Que Monsieur Gaubert ait perçu de l’argent de Monsieur Takieddine, c’est évident, puisque c’est avéré. Mais pas un centime n’a servi pour ma campagne », affirme l’ancien chef de l’État, ajoutant qu’il aurait « découvert » l’existence du compte Cactus en « lisant le dossier ». « Ma campagne est à des années-lumière de ce financement par Takieddine », clame-t-il.
« En 2006, on retire 80 000 euros du compte Cactus. Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet ? », poursuit la présidente. « Je pense qu’avec ce compte, on ne peut pas retirer plus de 10 000 euros par mois et 100 000 euros par an. Si ma campagne devait être financée par des retraits de 10 000 euros, cela prendrait 10 ans, c’est ridicule ! »
« Un procès, c’est avancer »
Devant les procureurs du parquet national financier, Nicolas Sarkozy hausse le ton pour la première fois depuis le début du procès. « Mais quel rapport ai-je avec le compte Rossfield ? Est-ce que quelqu’un imagine que Monsieur Takieddine serait assez généreux pour m’offrir de l’argent ? » Cherchant à renforcer son point, il poursuit : « Je sais bien qu’il y a des indices ! Mais ils ne convergent pas. » Une façon de répondre à la présidente qui lui avait rappelé la veille qu’un « pacte de corruption » pouvait être démontré par une accumulation d’indices, de divers éléments, y compris des témoignages. »
« Cela fait 3 heures et demie que je réfute des témoignages sans valeur et que je dois maintenant expliquer des comptes Cactus de Monsieur Gaubert, avec qui je n’ai pas eu de relations depuis 1995, et un compte de Monsieur Takieddine, c’est franchement incroyable ! », poursuit Sarkozy avec énergie. « Il n’y a pas de pacte de corruption, c’est impossible ! », affirme-t-il, répétant une ligne de défense déjà exprimée à maintes reprises.
L’un des procureurs insiste : si ce « pacte de corruption » n’a pas été conclu directement avec Kadhafi, pourrait-il l’avoir été lors de visites de Claude Guéant et de Brice Hortefeux ? Lors de rencontres « impromptues » avec Abdallah Senoussi, ancien chef des renseignements libyens ? « Je soutiens l’inverse, je ne peux, à mon insu, ignorer le financement de ma propre campagne », déclare Sarkozy. Une affirmation dont la véracité pourrait être mise à l’épreuve si ses anciens ministres étaient impliqués. « Un procès, c’est pour aller de l’avant, pas de retour en arrière », note l’ancien président. Les audiences sont programmées pour durer encore deux mois.