D’après les informations dévoilées par « L’Œil du 20 heures », certains adversaires du gouvernement sont contactés sur le sol français pour leur proposer de livrer des renseignements concernant les activistes qu’ils fréquentent ainsi que leurs actions. En contrepartie, il leur serait possible de rentrer en Algérie sans faire face aux charges pesant contre eux.
Des actions sur le territoire français visant à influencer les opposants au gouvernement algérien vont bien au-delà des simples campagnes en ligne. Selon les investigations de « L’Œil du 20 heures », diffusées le lundi 3 mars, le pouvoir algérien serait à l’origine de ces manœuvres.
Dans un document confidentiel, les services de renseignement français attestent « d’une tactique d’influence orchestrée par Alger auprès de sa communauté à l’étranger, reposant en grande partie sur les réseaux sociaux ». Cependant, notre enquête révèle que le pouvoir algérien opère également directement sur le sol français pour neutraliser et ramener à sa cause ses opposants.
Ghilas Aïnouche, un caricaturiste algérien de 36 ans réfugié en France, est fortement opposé au régime. Il a été condamné par contumace à une peine de dix ans d’emprisonnement pour « atteinte à la personne du Président de la République algérienne« . Même depuis la France, ses dessins continuent de lui attirer des menaces explicites de la part des partisans du régime. « On me traite souvent de harki, de traître, de collaborateur, accusé de trahir l’Algérie au profit de la France et d’être payé pour insulter notre pays et notre peuple« , raconte-t-il.
« Si tu envisages de revenir, nous pouvons t’assister »
Les menaces proviennent de « la part du régime et de ses partisans« , poursuit Ghilas Aïnouche, ajoutant être régulièrement sollicité par des représentants algériens lui proposant un marché : l’annulation de sa condamnation contre son ralliement au régime. « Je suis certain que le régime a tenté d’approcher tous les opposants. On m’a proposé de faire annuler mes dix ans de prison. J’ai reçu un appel pour me convier à un rendez-vous auquel je n’ai pas donné suite. J’ai refusé.«
Si Ghilas Aïnouche a choisi d’ignorer ces tentatives, d’autres opposants ont cherché à comprendre ce qui se cachait derrière ces promesses. Trois militants du MAK, un groupe militant pour l’autonomie de la Kabylie, que le gouvernement algérien a classifié comme organisation terroriste pour « atteinte à l’unité nationale« , partagent leur témoignage dans leur lieu de rencontre parisien. Il y a six mois, l’un d’eux a été contacté via les réseaux sociaux par un individu se disant mandataire de l’État algérien, avec l’offre directe : « Si tu veux rentre en Algérie, nous pouvons t’aider. Ta condamnation sera effacée.«
Lors de notre entrevue, les opposants ont accepté de participer à une conversation téléphonique avec cet interlocuteur, un certain Mourad A., qui prétend travailler au ministère de l’Intérieur, qualifié par lui de « ministère influent« . L’échange est poli. À la question d’un opposant, « Pourquoi l’Algérie accepterait-elle notre retour alors que nous sommes considérés comme traîtres et classés terroristes ?« , Mourad A. répond assurément : « L’Algérie n’abandonne jamais ses enfants.«
Une rencontre au consulat
Pour ceux qui acceptent l’offre, la seconde étape se déroule dans certains consulats algériens en France. Nous avons obtenu l’enregistrement audio de la convocation d’un opposant, révélant des méthodes d’intimidation visant à gagner la loyauté des voix dissidentes. Ce jour-là, l’opposant est dirigé vers le bureau de sécurité, une division officieuse du consulat, attachée aux services de renseignement algériens.
« Faites comme chez vous« , encourage un homme à l’opposant venu dans ce service, « ne soyez pas nerveux ! » Face à lui, deux individus en civil, dont l’un se présente comme un cadre supérieur du consulat. Ce qui débute comme un échange courtois dégénère en interrogation intense : « Avec qui êtes-vous en lien ? Quand avez-vous rejoint le mouvement ? » Les questions deviennent plus pointues : « Quel était votre rôle en tant que militant ? Qui détient l’autorité ? » L’objectif semble être d’identifier le meneur et de découvrir les relations personnelles les plus proches de l’opposant. « Vos amis les plus proches sont-ils ‘récupérables’ ? Allez, continuez.«
Donnez-nous plus d’informations sur votre organisation et les noms. Il est nécessaire que vous collaboriez.
Extrait d’un enregistrement lors de la convocation d’un opposantrévélé par « L’Œil du 20 heures »
A plusieurs reprises, les interlocuteurs quittent la pièce pour revenir avec des documents. L’opposant découvre qu’il est déjà fiché et que ses hôtes connaissent tout sur lui et ses proches. « Tous ces noms, nous les avons, nous connaissons tout le monde. Ce qui nous intéresse, c’est que vous vous engagiez à combattre ces personnes. » Ensuite, vient la pression : « Je vais vous passer le document, il faudra le signer. » L’un des deux individus tend une déclaration de renonciation et d’allégeance. Le texte stipule noir sur blanc que l’opposant « s’engage à abandonner toute activité subversive ou hostile, pouvant porter atteinte aux intérêts économiques de son pays, l’Algérie (…), à identifier tous les noms et les plans de son organisation (…), à collaborer avec les services de renseignement algériens. » Le texte précise enfin « Je certifie n’avoir subi aucune forme de pression. » Si l’opposant paraphe, on lui assure un retour sans problème en Algérie.
Contacté, le consulat algérien n’a pas donné suite. Toutefois, nous avons joint le fameux Mourad, celui qui communique avec les opposants. Il soutient : « L’Algérie a mis en place une procédure pour tout Algérien en exil souhaitant revenir dans son pays. Un Algérien qui se considère comme tel devrait rester aux côtés de son pays et le défendre, surtout contre la France. » Quant aux autorités françaises, elles indiquent : « Alger déploie d’importants moyens pour récupérer ses opposants. Les méthodes employées sont connues. Nous les faisons savoir mais cela n’est pas toujours suffisant.«