Le leader du Rassemblement National, ainsi que la descendante de Jean-Marie Le Pen, ont été conviés par les autorités israéliennes à participer à une conférence mondiale dédiée à la lutte contre l’antisémitisme, se tenant mercredi et jeudi. Cette invitation a provoqué des réactions négatives ainsi que des désistements.
Jordan Bardella et Marion Maréchal prévoient un voyage hautement symbolique et ancré dans la sphère politique. Le président du Rassemblement National et la nièce de Marine Le Pen sont conviés les 26 et 27 mars prochains en Israël. Ce déplacement est motivé par une conférence internationale sur l’antisémitisme qui se tiendra à Jérusalem, sous la direction du gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Pour ce parti d’extrême droite, il s’agit d’une avancée dans leur démarche de repositionnement. Cependant, ce voyage est déjà critiqué en raison du passif antisémite et négationniste de certains anciens membres du mouvement.
Quelle raison pousse Jordan Bardella et Marion Maréchal à se rendre en Israël ?
Les deux parlementaires européens sont invités par Amichai Chikli, ministre responsable des affaires de la diaspora et de la lutte contre l’antisémitisme. Jordan Bardella a déjà eu l’occasion de rencontrer le membre du Likoud à Washington en février dernier, lors d’une réunion consacrée aux conservateurs américains. En sa qualité de leader du Rassemblement National et du groupe Patriotes pour l’Europe au Parlement européen, il prendra la parole jeudi pour aborder l’aggravation de l’antisémitisme en France depuis octobre dernier. Il sera épaulé par Louis Aliot, maire de Perpignan et premier vice-président du RN. Quant à Marion Maréchal, qui a lancé son mouvement après avoir quitté Reconquête et pris ses distances avec Eric Zemmour, elle interviendra lors d’une table ronde jeudi matin.
Même si ce déplacement n’est pas officiellement celui de dirigeants politiques en Israël, il revêt un caractère institutionnel du fait des invitations provenant du gouvernement israélien. Le Premier ministre, Benyamin Nétanyhaou, est prévu pour participer à cette conférence, et le président Isaac Herzog organisera une réception à cette occasion. Parmi les intervenants, on trouve également des spécialistes militaires, des acteurs et, surtout, différents responsables politiques, donnant ainsi une couleur très conservatrice à l’événement. Des représentants du Fidesz hongrois (le parti de Viktor Orban), du Parti pour la liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas, de Vox en Espagne, ainsi que des Démocrates de Suède, y seront présents.
Pourquoi leur visite à Jérusalem est-elle source de débat en France ?
La venue de Jordan Bardella et Marion Maréchal à Jérusalem a poussé plusieurs participants, dont le philosophe Bernard-Henri Lévy, à annuler leur présence. De nombreuses critiques sont adressées par les opposants du RN quant au rapprochement du gouvernement israélien avec un parti autrefois dirigé par Jean-Marie Le Pen, condamné à de multiples reprises pour ses propos antisémites et négationnistes. L’histoire du parti inclus aussi d’anciens soldats du Troisième Reich.
Mathieu Lefèvre, député de la majorité présidentielle et président du groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée nationale, a évoqué un « renversement de valeurs » et mis en cause sur Radio J « une partie du gouvernement israélien ». Les institutions juives françaises ont unanimement condamné cette invitation; le président du Crif, Yonathan Arfi, a accusé le RN de manipuler la lutte contre l’antisémitisme à des fins politiques. Sur RMC, il a évoqué la « position historique des institutions juives en France » de « précaution vis-à-vis du Rassemblement national » en raison de « considérations historiques ».
Cette invitation contraste nettement avec le lourd héritage lepéniste en matière d’antisémitisme et de révisionnisme. Toutefois, le RN cherche désormais à se démarquer de cet héritage. Jordan Bardella a d’ailleurs soutenu sur RMC que l’exclusion de Jean-Marie Le Pen en 2015 par Marine Le Pen était essentiellement liée à la question de l’antisémitisme. Marine Le Pen, de son côté, a rejeté ces critiques sur le passé de sa famille politique, traitant Yonathan Arfi d’« homme de gauche » et pressant « nos compatriotes juifs » à « dégauchiser le Crif ».
« L’histoire du Front national et les déclarations de Jean-Marie Le Pen étaient des obstacles aux relations avec Israël. Mais sa disparition a facilité ce rapprochement, tout comme les positions pro-israéliennes du RN depuis octobre. »
Jean-Yves Camus, politologueà 42mag.fr
Malgré ces efforts pour tourner la page du passé, le mouvement a annoncé que Jordan Bardella participerait à une réception donnée par Isaac Herzog. Cependant, face à la controverse, le président israélien a réservé cet événement aux seuls représentants israéliens.
Quelle est la perception de ce voyage en Israël ?
Bien que les critiques les plus virulentes soient issues de la communauté juive d’Europe, en Israël, l’initiative n’est pas passée inaperçue. Le ministre Amichai Chikli a dû expliquer le choix de tisser des liens avec le Rassemblement National. Sur X, il a affirmé que qualifier le parti de Marine Le Pen de « mouvement d’extrême droite » ou d’« antisémite » était « insensé », en ajoutant que, selon lui, « Jordan Bardella est l’une des voix les plus favorables à Israël en Europe ».
« Le débat public en Israël est souvent focalisé sur les tensions à Gaza et les crises politiques internes, rendant ce sujet moins prioritaire, » note Nimrod Goren, leader d’un think tank progressiste, dans Libération. Interrogé par le même média, le professeur Yossi Shain, de l’université de Tel-Aviv, s’interroge sur la cohérence d’inviter des figures historiquement antijuives, simplement parce qu’elles partagent une vision anti-immigration, surtout envers les musulmans.
Pour Jean-Yves Camus, l’approche de Benyamin Nétanyahou dans cette démarche est également motivée par le besoin de trouver de nouveaux alliés sur la scène internationale. « Depuis octobre, Nétanyahou pense que ses meilleurs amis se trouvent parmi les nationalistes de droite, » explique-t-il, constatant que les partis conservateurs traditionnels sont jugés trop conciliants face aux réponses israéliennes après les attaques du Hamas. Dans ce contexte, le gouvernement israélien a tendu la main au Rassemblement national, qui cherche également à tirer profit de cette visite.
Quel est l’intérêt de ce voyage pour le Rassemblement national ?
En 2013, dans son ouvrage Le Front national de 1972 à nos jours, Valérie Igounet rapporte les propos de Louis Aliot sur le « blocage idéologique » que constituerait l’antisémitisme pour accéder à un électorat plus large. Marine Le Pen, en se détachant de certains membres du FN à son arrivée à sa tête en 2011, n’est pourtant jamais parvenue à être accueillie en Israël, ni invitée par le Crif.
Après le mois d’octobre, la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale a intensifié ses efforts de normalisation en participant, par exemple, à une marche contre l’antisémitisme à Paris en novembre 2023. Cependant, en juin 2024, le RN a été mêlé à des controverses lorsque certaines candidates ont été associées à des symboles nazis. L’une d’elles avait même justifié son comportement en évoquant son « ophtalmo juif ». Le RN a réagi fermement en désavouant ces personnes et en renforçant sa procédure de sélection pour éviter d’autres scandales.
Ce voyage qualifié d’« historique » par la direction du RN est salué à bien des égards, représentant une première pour un président du parti et un membre de la famille Le Pen, avec la présence de Marion Maréchal. Bien qu’elle ne porte plus ce nom, elle est présentée comme une députée européenne et petite-fille de Jean-Marie Le Pen.
« Ce déplacement est symboliquement très puissant; il marque la fin d’une ère pour notre mouvement. Nous sommes maintenant un véritable bouclier contre l’antisémitisme. »
Sébastien Chenu, député et vice-président du RNà 42mag.fr
« C’est l’aboutissement d’une stratégie de normalisation amorcée par Marine Le Pen, » affirme un responsable du parti, évoquant même la perspective d’un futur voyage de Marine Le Pen en Israël. Selon ce proche de la triple candidate à la présidentielle, « Nous sommes aujourd’hui perçus comme une barrière contre l’antisémitisme et contre l’islamisme radical, qui est le principal danger ». Ces actions visent aussi à désenclaver le parti en atténuant l’effet historique néfaste sur les électeurs, notamment parmi les personnes âgées.
Jean-Yves Camus croit que cette visite peut adoucir l’image du RN envers de nouveaux électeurs. « Les électeurs juifs en France, qui étaient environ 260 000 en 2014 d’après l’Ifop, ne peuvent pas renverser une élection. Pour le RN, le but n’est pas tant de conquérir le vote juif, mais de transmettre son évolution à l’électorat de droite retenu par l’héritage du parti. »
Malgré les inclinaisons vers le gouvernement israélien, le RN reste prudent face à la dynamique régionale. Interrogé sur RMC concernant les bombardements à Gaza, Jordan Bardella a esquivé, déclarant qu’il n’était « pas là pour juger ».