Trois jeunes athlètes du club de rugby de Saint-Denis, situé en banlieue parisienne, ont accepté de discuter de leur quotidien. Elles choisissent de porter le voile lors des sessions d’entraînement. Cette rencontre a lieu alors que l’Assemblée nationale se prépare à débattre d’un projet de loi visant à interdire le port du voile durant les événements sportifs.
Une Proposition de Loi au Cœur des Controverses
Une récente proposition législative suscite un clivage au sein des sphères politiques et gouvernementales : il est question de prohiber le port du voile lors des événements sportifs, y compris ceux à échelle amateur. Un sujet sensible pour de nombreuses personnes, notamment trois jeunes membres du club de rugby de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis, qui ont partagé leurs ressentis avec 42mag.fr.
Durant les entraînements, une moitié des joueuses arbore un voile, ou plutôt une cagoule dédiée au sport. Il en va de même durant les rencontres sportives, même si la Fédération française de rugby a décidé durant l’été de proscrire « tout signe ou tenue exprimant ostensiblement une affiliation religieuse ». Cependant, cette règle n’est pas encore mise en application.
Avec le débat en cours au Parlement, les répercussions se font plus concrètes, suscitant un trouble chez Fazla et Camissa, âgées de 18 ans. Investies dans le rugby depuis trois années, elles expriment leur ressenti. « Cela nous affecte vraiment de constater qu’on nous vise sans raison apparente alors que cela ne gêne personne en réalité« , décrit Fazla. « J’ai le sentiment que notre religion est la seule systématiquement mise en avant », indique Camissa, qui regrette que d’autres sportifs, fidjiens ou tongiens, prennent parfois la liberté de dessiner des croix sur leurs bandages, sans que cela suscite des désapprobations, tandis que porter un voile suscite des réactions.
« J’ai l’impression qu’on est la seule religion qui est pointée du doigt à chaque fois. »
Camissa, joueuse de rugby amatriceà 42mag.fr
Pour ces jeunes femmes et plusieurs responsables de clubs sollicités par 42mag.fr, le texte de loi, officiellement intitulé « Proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport », semble cibler les pratiquantes musulmanes.
Ce sentiment de ciblage est partagé par une autre joueuse de 18 ans : « Je ressens de la colère, je ne vais pas vous mentir, confie cette jeune femme engagée dans le rugby depuis six années. Les lois de 1905 sur la laïcité étaient censées nous libérer, nous laisser vivre nos croyances librement. Or ici, j’ai l’impression d’être opprimée, même si le mot est fort, concède-t-elle, on m’empêche de pratiquer un sport que j’aime simplement parce que je suis voilée. Et cela m’exaspère. Dans certains pays du Moyen-Orient, on interdit aux femmes de chanter ou de se montrer. Pourtant en France, là où on se vante des libertés individuelles, on souhaite limiter le sport pour certaines. Je trouve cela incohérent et hypocrite. »
La Laïcité au cœur des débats
Des divergences d’interprétation de la laïcité posent problème tout autant que l’argumentation des défenseurs de cette loi, qui avancent le risque d' »entrisme » et de « séparatisme ». L’objectif de cette proposition de loi est de s’assurer que « les endroits sportifs ne deviennent pas de nouveaux endroits d’expression du séparatisme », selon François-Noël Buffet, ministre associé du ministre de l’Intérieur et partisan de la loi au Sénat.
Cependant, pour les jeunes sportives, le vécu est tout autre. Le sport est pour elles une ouverture aux autres. Fazla témoigne : « Cela nous permet de rencontrer d’autres sans questionner la religion de chacun. Dans l’équipe, toutes ne portent pas le voile ou ne sont pas musulmanes, et cela n’inquiète personne. Le rugby tisse des liens sans se soucier des croyances ou des origines. »
Camissa renforce cette idée : « Le rugby nous ouvre à l’extérieur, ce n’est pas un espace communautaire exclusif pour les femmes voilées, contrairement à ce que certains prétendent. Ce n’est pas un rassemblement où elles se retrouvent isolées. »
Rugby et École : Deux Contextes Différents
En dehors du terrain, les jeunes femmes sont aussi investies dans leurs études, préparant le bac. Au lycée, elles retirent leur voile. Alors pourquoi une différence entre l’école et le rugby ? Selon Camissa, « Au lycée, le voile est interdit, mais hors de ce cadre, dans un club sportif, enlever notre voile serait dérangeant, car ce n’est plus le cadre scolaire. »
Fazla ajoute : « Le rugby est pour nous un exutoire. La fidélité à notre religion ne peut être mise entre parenthèses pour notre engagement sportif, même si l’importance du sport est capital. » Pour leur coéquipière aussi, retirer son voile durant un entraînement est inenvisageable. « En tant que Française, je me conforme aux lois, l’école est incontournable. Mais je ne pense pas que j’accepterais cela pour le rugby. Je fais des sacrifices pour la République, mais que ce soit réciproque. »
Elles admettent qu’en cas d’interdiction stricte du voile dans le milieu sportif, elles envisageraient d’arrêter le rugby ou d’adopter certaines stratégies pratiquées en élite, où certaines placent des casques par-dessus le voile ou en lieu et place de celui-ci.
Un Appui Indéfectible des Dirigeants
Les dirigeants des clubs concernés, consultés par 42mag.fr, soutiennent les sportives, telle est la position exprimée par Olivier Glévéo, président du club de Saint-Denis Rugby 93. « Les exigences envers ces jeunes filles sont importantes. À nous, présidents, de montrer notre union, notre volonté qu’elles continuent à s’investir dans le sport. Jouer au rugby nécessite des dépassements, notamment pour des jeunes femmes en milieu urbain. Elles ont franchi ce pas et nous voulons soutenir cet engagement. »
Pour lui, ces sportives ne sont rien d’autre que des joueuses de rugby brillantes, dotées de rapidité et de tact. Il souligne que, jusqu’à présent, ni les dirigeants ni les arbitres n’ont formulé de plaintes formelles durant les compétitions.