Mardi, le chef des députés de l’Union pour la démocratie et la République (UDR), qui soutient le Rassemblement national, a fait savoir qu’il présenterait un projet de loi en juin. Ce texte vise à ouvrir une nouvelle voie permettant à Marine Le Pen de se porter candidate à l’élection présidentielle de 2027.
Les partenaires politiques du Rassemblement national se mobilisent également pour réagir sur le plan politique après la condamnation de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics. Cette dernière, inscrite dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Front national, a fait appel de sa condamnation. Eric Ciotti, le responsable de l’Union des droites (UDR), a manifesté son intention de retirer l’exécution provisoire pour les peines d’inéligibilité dès le 1er avril. Précédemment, Marine Le Pen, qui a par trois fois postulé à la présidentielle, a été jugée en première instance à quatre ans d’incarcération, dont deux ans ferme, et elle a reçu une interdiction de cinq ans d’éligibilité immédiate, en attendant l’appel fixé à l’été 2026.
Au sein de l’Assemblée nationale, le parlementaire des Alpes-Maritimes a exprimé que l’exécution provisoire représentait une élimination politique pour Marine Le Pen, personnalité à laquelle l’ancien dirigeant des Républicains s’était rallié avant les élections législatives prévues en juin 2024. « Dans un pays respectant l’état de droit, refuser à un individu le droit à un recours judiciaire est une grave injustice. Cette forme d’exécution instaure une condamnation politique immédiate », a critiqué le député niçois en annonçant que sa formation politique proposerait « un projet de loi en vue de supprimer l’exécution provisoire pour les peines d’inéligibilité », lors de leur session parlementaire prévue le 26 juin.
Ce projet de loi, déjà préparé, comportera un seul article visant à réformer le Code pénal et le Code de procédure pénale, comme l’a expliqué à 42mag.fr Charles Alloncle, le porte-parole de l’UDR et député de l’Hérault. Les partisans de Ciotti cherchent à ajouter une phrase à l’article 131-26-2 du Code pénal concernant les peines d’inéligibilité, visant à supprimer l’exécution provisoire : « Considérant l’importance fondamentale du droit d’éligibilité, la peine supplémentaire d’inéligibilité ne pourra être appliquée de manière immédiate ». De plus, l’UDR souhaite amender l’alinéa 4 de l’article 471 du Code de procédure pénale, qui prévoit que certaines peines « peuvent être mises à exécution provisoire », en ajoutant « à l’exception des peines d’inéligibilité ».
Une course contre la montre au Parlement
Eric Ciotti a expliqué mercredi sur BFMTV : « Si vous êtes empêché de vous présenter à une élection et qu’ensuite la cour d’appel ou la Cour de cassation vous innocentent, le mal sera déjà fait et irréparable ». Il a ajouté que « ne pas se présenter à une élection signifie qu’on ne peut plus y prétendre par la suite ». Ciotti a ainsi évoqué le risque que Marine Le Pen ne puisse participer à l’élection présidentielle de 2027 avant de potentiellement récupérer son éligibilité dans le cadre d’un jugement ultérieur. Brigitte Barèges, une députée de l’UDR, a également été condamnée en février 2021 pour détournement de fonds. En tant que maire de Montauban à cette période, elle a perdu immédiatement ses fonctions municipales et départementales à la suite d’une peine de cinq ans d’inéligibilité avec exécution immédiate. En décembre 2021, elle a été acquittée, et a ainsi pu retrouver sa mairie.
Du côté du Rassemblement national, la démarche d’Eric Ciotti est bien accueillie. « Nous appuierons cette initiative », a confirmé Jean-Philippe Tanguy, député de la Somme, sur BFMTV mardi soir, bien qu’il souhaite que l’abrogation de l’exécution provisoire pour les peines d’inéligibilité se fasse plutôt par le biais d’un projet de loi gouvernemental. Cependant, les 139 sièges détenus par le RN et l’UDR ne suffisent pas pour faire passer ce texte à l’Assemblée.
Charles Alloncle, porte-parole de l’UDR et député de l’Hérault, reste confiant et indique : « Nous sommes convaincus que nous pouvons obtenir une majorité suffisante à l’Assemblée ». Il espère réunir le soutien des Républicains (47 sièges), du MoDem (36 sièges), de certains députés macronistes et de la gauche, tandis qu’il table sur une abstention de la France insoumise. Les groupes parlementaires à l’Assemblée, sollicités par 42mag.fr, n’ont pas encore officialisé de position commune sur une proposition de loi qui n’a pas encore été déposée.
Le calendrier parlementaire est néanmoins très contraint. Si l’Assemblée approuve la proposition le 26 juin, elle pourrait être étudiée par le Sénat à l’automne. En cas de validation par les sénateurs, le texte pourrait être promulgué avant le procès en appel de Marine Le Pen, début 2026. Si l’UDR parvient à un tel délai, la loi entrerait en vigueur immédiatement.
Une rétroactivité de la législation potentielle
Stéphane Detraz, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paris-Saclay, précise : « Selon l’article 112-2 du Code pénal, si cette proposition est adoptée et devient effective avant l’ouverture du procès en appel de Marine Le Pen, elle s’appliquerait immédiatement ». Ainsi, la cour d’appel de Paris ne pourrait pas, dans ce cas, assortir une peine d’inéligibilité d’une exécution immédiate.
Anne-Charlène Bezzina, une maîtresse de conférences en droit public à l’université de Rouen-Normandie, ajoute : « La cour d’appel jugerait Marine Le Pen selon la loi en vigueur au moment du verdict, ce qui signifie également une loi plus favorable. Tout dépend de savoir si cette loi est adoptée avant le procès en appel. Mais même dans le cas d’une adoption postérieure à l’appel, elle pourrait être appliquée rétroactivement aux peines antérieures », soutenue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Si la cour d’appel rendait une décision défavorable pour Marine Le Pen, celle-ci pourrait encore se pourvoir en cassation. Cependant, dans le cadre actuel de la loi, ce recours maintiendrait l’exécution immédiate de l’inéligibilité, d’après les experts juridiques interrogés. L’adoption de la proposition de loi par l’UDR permettrait alors de lever cet obstacle.
« Une législation sur mesure pour épargner Madame Le Pen »
Convaincre les parlementaires de la pertinence d’une telle réforme dans le contexte actuel représente un challenge. François Bayrou, le Premier ministre, a reconnu la complexité de la situation en déclarant : « Il s’agit de questions qui méritent réflexion ». Il devra répondre à un appel après sa relaxe initiale « pour absence de preuves » dans l’affaire des assistants parlementaires MoDem. Lors de l’Assemblée, il a mentionné que l’avenir de la proposition de l’UDR dépendrait des choix des députés et sénateurs. « Elle sera soumise à l’examen parlementaire dans les deux chambres, et il reviendra à elles de décider si la législation actuelle doit être modifiée », a-t-il souligné.
Après le Conseil des ministres du mercredi, Sophie Primas, porte-parole gouvernementale, a mentionné : « Le gouvernement examinera les modalités car… abolir [l’exécution provisoire], il y a peut-être des nuances à considérer. Attendons de voir le texte proposé ». Les échanges semblent s’annoncer houleux. Marion Maréchal, députée européenne d’extrême droite, a exhorté mercredi sur Europe 1 les électeurs de droite et du centre droit à voter en faveur de la proposition d’Eric Ciotti pour « faire face à une dangereuse inertie judiciaire de gauche ». De son côté, Xavier Bertrand, ancien membre des Républicains et candidat à la présidentielle décidé, a jugé « impensable » la promulgation d’une loi particulière pour venir en aide à Marine Le Pen.
Charles Alloncle affirme : « Cette loi ne compromettra en rien l’indépendance judiciaire ». « L’objectif est de prévenir une décision de première instance aux conséquences majeures sur un processus électoral ». Des accusations pourraient se tourner vers Eric Ciotti, déjà visé par une enquête liée à un supposé détournement lors de la campagne législative de 2022.