Emmanuel Macron envisage la possibilité de tenir plusieurs référendums dans les mois à venir. Dans ce contexte, le sociologue Jean Viard se penche sur la signification et l’utilité de cet instrument démocratique, en en évaluant les implications et les objectifs.
Plusieurs référendums simultanés envisagés. Ce mardi 13 mai 2025, Emmanuel Macron a exprimé son accord pour la tenue de plusieurs consultations populaires en parallèle, portant sur des thématiques diverses, en cas d’impasse politique à l’Assemblée nationale, tout en restant vague sur les secteurs concernés.
42mag.fr : Souvent présenté par le président comme une menace, le référendum représente-t-il vraiment l’instrument ultime, l’arme suprême de la démocratie ?
Jean Viard : Je ne partage pas cette vision. Le référendum peut certes conférer un caractère solennel à une décision à un moment précis, comme ce fut le cas lors de l’indépendance algérienne. Mais qu’est-ce qu’une décision ? C’est avant tout le résultat d’un processus de délibération. Il faut que ce processus ait impliqué une réflexion sérieuse, une documentation approfondie, un débat posé. Aujourd’hui, je doute que dans nos sociétés numériques une délibération démocratique sereine et objective soit possible. Le fossé entre les citoyens et les politiques est énorme, et les référendums se retrouvent bien souvent transformés en simples votes d’opposition de principe. Je suis assez perplexe face à cette agitation autour du référendum.
Est-ce que le recours direct au peuple ne risque pas de fragiliser la légitimité des députés ou des sénateurs ?
Effectivement, mais il faut se rappeler que, historiquement, les référendums ont souvent été instrumentalisés par des régimes autoritaires dont les dirigeants cherchaient à légitimer une décision, voire à obtenir un second mandat par cette voie. Aujourd’hui, certains pays comme la Suisse font du référendum un outil démocratique à part entière, mais cela s’explique aussi parce qu’ils n’ont pas un pouvoir central très fort. Cela fait partie de leur culture politique. Peut-être qu’un jour, avec l’introduction de la proportionnelle, nous pourrons, nous aussi, faire évoluer cette culture politique en France. Mais avant de penser au référendum, apprenons d’abord à discuter et à délibérer collectivement. Pour l’instant, nous en sommes loin.
On sait par ailleurs qu’aujourd’hui, avec la puissance des réseaux sociaux et les interférences étrangères, le référendum peut se transformer en un moyen de manipulation des citoyens.
Le danger est réel et très important. Nous ne sommes clairement pas bien préparés pour faire face à la guerre numérique, même si la France et l’Europe progressent. Notre démocratie est exposée à de sérieux risques à cause de cet univers numérique. Nous traversons une période où la sphère politique est totalement fragmentée, tandis que les citoyens ont des revendications légitimes. On se souvient que le mouvement des gilets jaunes a massivement soutenu l’idée de référendum d’initiative citoyenne, mais la démocratie ne se résume pas à un simple débat de café.
Quelle est votre opinion sur les conventions citoyennes dans ce contexte ?
Ces initiatives sont extrêmement pertinentes sur le plan intellectuel. Les participants évoluent, s’écoutent et prennent en compte les avis d’experts. Le principal problème est que leurs propositions ne sont pas suffisamment prises en considération par les décideurs. Pourtant, ces conventions sont des espaces de construction démocratique, de discussion et de réflexion collective. Placer un tel outil d’intelligence démocratique à côté de la démocratie délibérative constitue un progrès majeur pour notre société. De plus, ces instances sont relativement peu exposées aux influences extérieures. Je pense néanmoins qu’il faudrait les rendre un peu plus visibles dans les médias et les ouvrir davantage au public.