Les syndicats et les représentants des employeurs ont reconnu lundi soir que les discussions concernant le système de retraite étaient au point mort. Dès le lendemain, le Premier ministre a pris l’initiative de les inviter successivement à se rendre à Matignon, dans le but de relancer la concertation sociale. Cette démarche vise à poursuivre le dialogue et à empêcher que la réforme portée par Élisabeth Borne ne soit remise en cause ou affaiblie.
« Après une longue marche, ce sont souvent les derniers pas qui comptent le plus. » Pour soutenir François Bayrou, actuellement embourbé dans le « conclave » relatif aux retraites, Erwan Balanant, député MoDem, utilise à nouveau sa métaphore de la « marche prolongée ». Aux premières heures du mardi 24 juin, le Premier ministre s’est engagé dans une course contre la montre afin d’amener les partenaires sociaux à un compromis. Suite à l’échec des négociations, lundi soir, entre syndicats et représentants patronaux, il a été contraint de revenir sur sa promesse initiale de ne pas intervenir dans les discussions.
En conviant à Matignon les acteurs du « conclave », le natif de Pau espère redynamiser le dialogue et dégager « une solution de passage », mais il est néanmoins confronté à la menace d’une motion de censure déposée par la gauche, comme annoncé mardi par le chef de file socialiste à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud.
« Une manœuvre médiatique désespérée »
« Habemus naufragium », s’amuse à dire le député écologiste Benjamin Lucas-Lundy à l’Assemblée, en jouant sur l’image du conclave papal. Tous les bords politiques, sans exception, perçoivent ces nouveaux entretiens comme une opération de communication et une stratégie politique de François Bayrou. « Il cherche à gagner du temps après l’échec du ‘conclave’ et de sa méthode qui mettent en péril la crédibilité de son gouvernement », critique l’élu des Yvelines. « Les séances de ce jour ressemblent davantage à une tentative maladroite de communication. François Bayrou cherche à dissimuler l’échec du ‘conclave’ derrière un écran de fumée », renchérit Arthur Delaporte, député socialiste du Calvados.
« Il essaie de détourner l’attention et de préserver quelques points politiques », accuse Éric Coquerel, député France insoumise de Seine-Saint-Denis. Le parti de Jean-Luc Mélenchon a dès lundi soir appelé à censurer le gouvernement Bayrou, après que les partenaires sociaux ont acté l’absence de consensus. À l’autre extrémité de l’hémicycle, Gaëtan Dussausaye, député du Rassemblement national, s’interroge. « On dirait un véritable ‘sauve-qui-peut’. Il tente de gagner du temps, mais je doute qu’il en tire quoi que ce soit », déclare l’élu vosgien.
Seuls les centristes manifestent un enthousiasme pour ce dernier acte entamé par le président de leur formation politique. « Il est dans son droit de ne rien lâcher. Il faut aboutir à un compromis. C’est justement là le sens du ‘conclave’, on n’en ressort jamais sans solution », affirme Erwan Balanant. « C’est la raison pour laquelle il cherche à souder les participants sans pour autant faire pression sur syndicats et patrons. »
Même parmi les macronistes, des doutes apparaissent à propos de cette ultime session de discussions. « Ce qui me préoccupe, c’est qu’il semble être le seul à croire qu’un accord est envisageable », confie une députée du parti présidentiel, qui voit dans ce rassemblement à Matignon un moyen de retarder l’inévitable. « C’est un peu comme des soins palliatifs : au bout du compte, la fin est toujours là. » Certains jugent même cette tactique risquée. « De facto, puisqu’il reprend la main, cela fera de cet épisode son propre échec. Peut-être agit-il ainsi pour se ménager une porte de sortie », s’interroge un conseiller parlementaire du camp macroniste.
Tenter de résister à une motion de censure
Car François Bayrou fait face à une nouvelle menace de motion de censure. « Je reste convaincu qu’il existe une voie, bien que très étroite, pour sortir de cette impasse », a-t-il défendu mardi dans l’hémicycle, peu après avoir rencontré les trois syndicats engagés dans le ‘conclave’ (CFDT, CFTC et CFE-CGC), ainsi que le président du Medef, Patrick Martin. « Quel que soit le chemin choisi, qu’il soit législatif ou réglementaire, il est hors de question à mes yeux de laisser s’effondrer l’équilibre financier », a néanmoins averti le Premier ministre, provoquant la riposte anticipée des socialistes.
« Le respect de la parole donnée est un fondement essentiel de notre démocratie », lui a rétorqué Boris Vallaud, chef du groupe PS. Le député landais lui a rappelé son engagement à mener un débat « sans tabous ni interdits », y compris sur l’âge légal de départ à la retraite, notamment les controversés 64 ans prévus dans la réforme Borne que la gauche et le RN souhaitent annuler. Cette disposition reste cependant non négociable pour l’exécutif. Le Premier ministre a d’ailleurs reçu le soutien du président Emmanuel Macron, actuellement en déplacement en Norvège, qui a « fortement encouragé » les partenaires sociaux à « surmonter leurs divergences persistantes pour trouver une solution équilibrée pour le pays ».
En cas d’accord, le gouvernement espère que cela compliquera la tâche des oppositions désireuses de démanteler le résultat du ‘conclave’, et donc d’annuler la réforme adoptée sans vote en 2023. « Un accord devra être respecté. Certaines règles pourront être instaurées sans passer par le Parlement. Et si une discussion a lieu à l’Assemblée, ce ne sera pas pour remettre en cause ce qui aura été convenu, c’est non », tranche un député du groupe central.
Avant de franchir cette étape, le Premier ministre devra éviter la motion de censure spontanée que les socialistes projettent de déposer mercredi ou jeudi, en vue d’un débat prévu pour la dernière semaine de juin. La position du Rassemblement national sera déterminante. Jusqu’à présent, les députés de Marine Le Pen n’envisagent pas de déposer une motion de censure concernant les retraites, tout en gardant cette possibilité ouverte afin de maintenir la pression sur François Bayrou lors des discussions relatives à l’énergie et au budget pour 2026.