Sur le papier, Emmanuel Macron aurait la possibilité de déclencher prochainement des élections législatives anticipées, bien que ses proches insistent régulièrement sur le fait qu’ils ne considèrent pas cette option pour le moment. Parmi les différents courants politiques, c’est uniquement l’extrême droite qui milite en faveur d’un retour rapide aux votes.
La question d’une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale semble aujourd’hui écartée. « Il est passé à autre chose », confie un intime d’Emmanuel Macron. Mais réutilisera-t-il cet outil constitutionnel ? « Non, il ne se place pas dans cette perspective », tranche la même source. « Néanmoins, il ne compte pas se laisser désarmer institutionnellement. » Lorsque l’été 2025 arrivera, le chef de l’État pourra techniquement provoquer des élections législatives anticipées, car la Constitution interdit de procéder à « une nouvelle dissolution dans l’année suivant ces élections ». Cette règle, toutefois, demeure ambiguë et alimente les débats parmi les juristes. Certains soutiennent que le point de départ est fixé au 8 juillet, lendemain du second tour des législatives de l’année dernière, tandis que d’autres privilégient le 10 juin, jour suivant le décret de dissolution, rapporte Public Sénat.
Le 9 juin 2024, Emmanuel Macron avait pris tout le monde de court, opposants comme alliés, en annonçant à la surprise générale, face au décevant résultat du bloc central aux élections européennes, la dissolution de l’Assemblée nationale.
Séisme, choc, déflagration : la presse et les analystes ne tarissaient pas de superlatifs pour décrire cette annonce. La campagne électorale se déroula en seulement trois semaines, menant à un Palais Bourbon encore plus divisé qu’auparavant, marqué par une fragmentation inédite en trois groupes — l’extrême droite, la droite et le centre, ainsi que la gauche — irréconciliables entre eux. Aucun de ces blocs ne parvint à obtenir la majorité absolue. S’ensuivit une année particulièrement instable, avec un Premier ministre, Michel Barnier, renversé par une motion de censure début décembre, puis son successeur, François Bayrou, évoluant en permanence sur un fil très étroit.
Une dissolution réclamée uniquement par une force politique
À l’heure actuelle, seule une partie de l’échiquier politique s’oppose en faveur d’une dissolution supplémentaire. « Le recours aux urnes demeure un acte sain pour la démocratie. Nous sommes plongés dans une crise économique, sociale et politique », affirme Éric Ciotti, président de l’Union des droites pour la République, proche allié du Rassemblement national (RN). « Le gouvernement ne gouverne plus ; il ne prend plus de décisions. Face à une telle crise, l’élection est toujours un recours efficace. » L’ex-leader des Républicains s’aligne sans surprise sur la position du RN, qui serait le grand favori en cas de scrutin législatif anticipé.
« Je pense qu’une dissolution devrait être envisagée dès l’automne prochain, car la politique actuellement menée ne correspond pas aux attentes des Français. »
Marine Le Pen, cheffe du groupe RN à l’Assemblée nationaledans un entretien à 42mag.fr
Cependant, la dirigeante des 123 députés RN conditionne ce nouveau passage aux urnes à la mise en place de la proportionnelle. « Il faudrait réformer le mode de scrutin afin d’instaurer la proportionnelle et garantir ainsi une majorité absolue », explique Marine Le Pen. « Avec le système actuel, même si le RN augmente son nombre de députés, nous risquons de retomber dans la même absence de majorité. » Le Premier ministre a bien lancé des consultations à ce sujet, mais il bute sur l’opposition ferme et répétée des Républicains, acteurs de la majorité gouvernementale et fervents défenseurs du scrutin majoritaire uninominal à deux tours.
Cette revendication de dissolution reste donc isolée au RN. Du côté de la gauche, l’hypothèse est rejetée d’un revers de main. « Une nouvelle dissolution ne servirait à rien si, au final, le président de la République s’obstine à ignorer le verdict des urnes », déclare Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise (LFI). Sa coalition, le Nouveau Front populaire, qui avait remporté les élections de juillet sans toutefois décrocher la majorité absolue, s’était heurtée à la volonté présidentielle de ne pas nommer Lucie Castets à Matignon.
Le Parti socialiste, pour sa part, met en garde contre une possible progression accrue de l’extrême droite. « Une seconde dissolution ne modifierait pas fondamentalement le paysage politique. Mêmes causes, mêmes effets, avec le risque que le RN obtienne un score supérieur à celui de la dernière fois », avertit Arthur Delaporte, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée nationale. « Il ne faut absolument pas procéder à une nouvelle dissolution », abonde aussi la députée écologiste Sandra Regol.
« L’instabilité est déjà très forte, y ajouter encore ne ferait qu’aggraver la situation. Dissoudre constituait une erreur colossale il y a un an, et nous en payons toujours le prix aujourd’hui. »
Sandra Regol, députée écologisteà 42mag.fr
De son côté, Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes, évite une position tranchée : « Nous entrons dans une ère politique, que l’on sente bien en France et ailleurs, où il faut toujours être prêt à tout. Quand il s’agit de s’opposer à l’ascension du fascisme au pouvoir, nous serons toujours mobilisés. »
Les partisans d’Emmanuel Macron rejettent l’idée d’une nouvelle dissolution
Dans le camp du président Macron et chez ses alliés, on tient un discours clair et ferme. « Cela ne changerait rien : la composition de l’Assemblée resterait identique », assure le député MoDem Erwan Balanant. « Une nouvelle dissolution serait tout simplement absurde », lance même Jean-René Cazeneuve, député Renaissance. Ce dernier met lui aussi en garde contre la progression du RN, et souligne la proximité des élections municipales de mars prochain comme un facteur de prudence. « Je ne vois pas en quoi cela serait bénéfique pour la nation et le fonctionnement démocratique », insiste également Ludovic Mendes, député issu de la majorité présidentielle. Enfin, Antoine Vermorel-Marques, élu LR, ajoute : « À quoi servirait une remise à zéro ? Probablement pas à obtenir une majorité. Une telle initiative ne ferait qu’accentuer l’instabilité car beaucoup réclameraient alors la démission du président. »
Cependant, certains ténors du camp macroniste évoquent un contexte susceptible de pousser Emmanuel Macron à recourir à nouveau à cette mesure extrême. « La seule hypothèse serait un blocage politique insurmontable. Pour l’instant, seul un refus d’adopter le projet de loi de finances pour 2026 pourrait entraîner une telle situation », estime Florent Boudié, député macroniste et président de la commission des lois. En dépit de cette complexité, les élus font déjà face, depuis la dissolution de l’été dernier, à un contexte particulièrement difficile au Palais Bourbon, un constat partagé par le président du groupe PS Boris Vallaud.
« Nous sommes dans une Assemblée qui dysfonctionne totalement. Le pays traverse une phase d’instabilité et d’incertitude majeures, tandis que la menace de l’extrême droite, proche du pouvoir, reste omniprésente. »
Boris Vallaud, chef du groupe PS à l’Assemblée nationaleà 42mag.fr
Face à cette impasse, certains militent pour des solutions alternatives à la dissolution, allant de proposées modérées à plus radicales. « Je suis convaincu qu’une élection présidentielle anticipée constituerait la meilleure réponse à la crise actuelle », défend Manuel Bompard, position déjà avancée par La France insoumise depuis plusieurs mois. Mais cette hypothèse a été formellement rejetée par le président Macron, qui a prévenu : « Le mandat que vous m’avez confié démocratiquement est un quinquennat que j’entends mener à son terme », avait-il déclaré lors d’une allocution le 5 décembre, peu après la défaite de son gouvernement Barnier.
Pour débloquer la situation, Antoine Vermorel-Marques propose une autre piste : « Il serait plus pertinent de légiférer à travers un référendum qu’en dissolvant l’Assemblée. » Une option qui a souvent été évoquée par Emmanuel Macron, sans jamais aboutir. Arthur Delaporte, quant à lui, insiste sur la nécessité d’« accepter la tripolarisation [de la vie politique] tout en renforçant le Parlement. Il faut sortir de la domination gouvernementale, avec moins de pouvoir pour l’exécutif et davantage de discussions préalables aux projets de loi ». Autrement dit, renouveler en profondeur la culture politique française — un défi de taille auquel beaucoup paraissent peu croire. « On peut changer les élus, mais pas la culture politique. La Ve République repose sur la logique majoritaire, et qu’on le veuille ou non, cette configuration ne reviendra pas avant 2027 », conclut Mathieu Lefèvre. Et ce, à condition que le futur président remporté la majorité absolue dans les législatives suivantes.