Mardi, à l’Assemblée nationale, le député des Yvelines, proche du groupe socialiste, a annoncé qu’il suivait un traitement contre un cancer. Cette déclaration avait pour but de dénoncer une possible réduction des crédits alloués à la recherche sur cette pathologie.
Aurélien Rousseau a décidé de briser le silence. L’ancien ministre de la Santé a annoncé publiquement être atteint d’un cancer lors de la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, mardi 3 juin. « Les sujets personnels sont également des enjeux politiques », a déclaré le député (Place publique) des Yvelines, en profitant de son intervention pour alerter sur la nécessité de maintenir les financements dédiés à la recherche contre le cancer.
Après plusieurs personnalités comme le maire de Rouen (Seine-Maritime), Nicolas Mayer-Rossignol, la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, ou encore Edouard Philippe, un autre responsable politique se livre publiquement sur son état de santé. Qu’est-ce qui motive aujourd’hui les élus à révéler plus volontiers leurs combats contre une maladie grave ? Quelques explications.
Une démarche fondée sur la transparence
« Cela m’a soulagé sur le plan personnel. Porter ce secret était un poids, d’autant plus qu’il y avait eu des fuites malveillantes », confie Nicolas Mayer-Rossignol à 42mag.fr. En novembre 2024, le maire de Rouen avait dévoilé son cancer de la vessie. Il a tenu à saluer le courage d’Aurélien Rousseau via un message sur son compte X.
Ce choix de transparence répond aussi aux rumeurs qui circulent souvent. « Nous vivons une époque où les secrets sont de plus en plus difficiles à maintenir. Il y a un réflexe de devancer d’éventuelles révélations non souhaitées de la part d’adversaires, dans le but de mieux contrôler la narration et la communication », explique Raphaël Haddad, spécialiste en communication et fondateur de l’agence Mots-Clés.
En 2022, Philippe Augier, maire de Deauville (Calvados), avait lui aussi fait part de ses soucis de santé via une vidéo publiée sur Facebook, où il annonçait une hospitalisation liée à des problèmes cardiovasculaires. Alors, il affirmait : « Je viens vers vous pour clarifier ma situation de santé », tout en assurant qu’il restait « aux commandes », comme rapportait à l’époque Ouest France.
Briser le silence pour encourager la prévention
Partager publiquement son expérience de la maladie peut également servir à soutenir les malades et à promouvoir la prévention. En janvier, quand Yaël Braun-Pivet révèle qu’elle suit un traitement contre un cancer, elle en profite pour inciter au dépistage systématique. « Si vous voulez prendre une bonne résolution en ce début d’année, je ne peux que vous conseiller de vous faire dépister. Cancer du sein, cancer colorectal, cancer du col de l’utérus… n’attendez plus ! », écrivait-elle sur son compte X. Contactée par 42mag.fr, la présidente de l’Assemblée nationale ne regrette pas de s’être ouverte sur ce sujet intime.
« Je me suis sentie plus légère. Beaucoup de personnes m’ont fait part de leurs propres combats et m’ont dit que ma démarche leur avait donné du courage. Je suis heureuse d’avoir abordé cela au moment opportun. »
Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationaleà 42mag.fr
Pour Aurélien Rousseau, ce choix s’inscrit aussi dans l’idée que son témoignage puisse être une forme d’exemple. « Le cancer, c’est d’abord beaucoup de solitude : une épreuve très personnelle », expliquait-il lors de l’émission « 4V » sur France 2 mercredi. « Et pourtant, quatre millions de personnes sont concernées et environ 400 000 nouveaux cas sont détectés chaque année. C’est pourquoi il faut peut-être prendre le risque d’une certaine impudeur, puisque cette dimension intime relève en réalité d’une question politique. »
Utiliser la maladie pour renforcer ses combats politiques
Parler ouvertement de sa maladie donne aussi la possibilité d’aborder des sujets politiques avec plus de poids, et de promouvoir certaines initiatives. Aurélien Rousseau invite notamment à soutenir une proposition de loi proposant la création d’un registre national des cancers, visant notamment « à constituer une base de données au service de la recherche ». Ce texte a déjà été adopté au Sénat, mais n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale. « Nous votons parfois des lois moins importantes, on devrait pouvoir trouver le temps de voter celle-ci », confie le député des Yvelines à France 2.
« Il existe une dimension militante dans ce type d’interventions », analyse Philippe Moreau-Chevrolet, professeur en communication à Sciences Po. « Il s’agit d’incarner un combat médiatique en illustrant un enjeu à travers une expérience personnelle, comme l’a fait, par exemple, Judith Godrèche à propos des violences sexistes et sexuelles », souligne-t-il, saluant « le courage » d’Aurélien Rousseau.
Nicolas Mayer-Rossignol partage ce point de vue. « Cette annonce m’a aussi permis de mettre en lumière des enjeux majeurs : la recherche médicale, les conditions hospitalières, la prévention, ainsi que la bienveillance au travail », rappelle-t-il.
Un tournant face à l’habitude du secret
Nous ne sommes plus à l’époque où, comme Georges Pompidou, François Mitterrand ou Jacques Chirac, les dirigeants cachaient leurs maladies au public. À cette époque, on pensait qu’une révélation publique sur la santé d’un chef d’État pouvait fragiliser son autorité, et par extension celle du pays. Cette crainte explique pourquoi certains responsables politiques continuent encore aujourd’hui à taire leurs problèmes de santé.
Muriel Pénicaud, qui a été diagnostiquée d’un cancer de la thyroïde alors qu’elle occupait le poste de ministre du Travail dans le gouvernement d’Édouard Philippe, a choisi de ne rien révéler à ce moment-là. Elle en a expliqué les raisons sur Europe 1 en 2021, à l’occasion de la publication de son livre racontant son expérience ministérielle. « J’ai préféré garder le silence, car en politique, toute fragilité est exploitée, qu’elle soit réelle ou non », analysait-elle. « Cela n’altérait en rien ma capacité à exercer mes fonctions, et je ne voulais pas que les regards sur moi changent ». Toutefois, dans une vidéo réalisée pour Brut, elle appelle à « plus de bienveillance » envers les salariés malades sur leurs lieux de travail.
Parmi les élus ayant opté pour la discrétion figure Pouria Amirshahi. En 2014, l’actuel député écologiste de Paris combattait un cancer du poumon. « Je n’ai jamais évoqué publiquement ma maladie, il s’en est seulement un peu parlé dans l’Hémicycle car j’étais visiblement affaibli physiquement », confiait-il à France Inter. Il félicite aujourd’hui la démarche d’Aurélien Rousseau. « L’essentiel est que cette prise de parole favorise la mobilisation et l’acceptation dans la société de choix politiques ambitieux en matière de santé », conclut Pouria Amirshahi.