Mardi, l’Assemblée nationale se penchera sur une proposition de loi, plus de sept décennies après la conclusion du conflit d’Indochine.
Se sentant laissés pour compte par l’histoire officielle, les rapatriés d’Indochine exigent désormais une reconnaissance ainsi qu’une compensation : ces populations, longtemps oubliées, font entendre leur voix. Ce mardi 3 juin, l’Assemblée nationale examine une proposition de loi portée par le député socialiste Olivier Faure, visant à indemniser ces anciens rapatriés.
En 1954, les accords de Genève marquent la fin de la présence française en Indochine, ce qui entraîne le retour en métropole de nombreux ressortissants. Plusieurs milliers d’entre eux sont alors installés dans des camps militaires délabrés, où ils demeureront pendant plusieurs années dans des conditions très difficiles. Plus de sept décennies plus tard, ces personnes n’ont rien oublié de cette épreuve et demandent à la France de reconnaître ce vécu douloureux. Franceinfo s’est entretenu avec l’une de ces rapatriées, en Auvergne, qui réclame une justice réparatrice.
Des règles strictes au sein des camps : « Il fallait un bon de sortie pour pouvoir quitter le camp »
Marie Dietrich Adiceam, âgée de 70 ans, a choisi de donner rendez-vous dans un restaurant au nom évocateur, Le Petit d’Asie, situé à Noyant-d’Allier. En 1955, alors qu’elle n’a qu’un an, elle arrive au cœur de l’hiver dans ce village auvergnat, aux côtés d’autres familles : « Les mères portaient des robes vietnamiennes en soie, sans manteaux ni vêtements chauds. »
« Elles ont quitté précipitamment Saigon après qu’on leur ait dit : ‘Il faut partir, il faut partir. Vous ne pouvez rien emporter, mais vous serez pris en charge à votre arrivée.’ »
Marie Dietrich Adiceamà 42mag.fr
L’accueil se fait dans des corons, ces anciennes maisons destinées aux mineurs, mais qui sont alors délaissées : « Le sol n’était que de la terre battue recouverte de tomettes. C’était très rudimentaire. Nous avions droit à un seul poêle et une couverture par personne. » Ces camps vétustes fonctionnaient selon un régime quasi militaire : « Il était impossible de sortir sans un bon de sortie. Il fallait aussi obtenir une autorisation avant de faire des achats. »
Une existence difficile et un cri d’injustice : « Pourquoi le gouvernement ne nous reconnaît-il pas ? »
Le quotidien était très humble : « Nous ne vivions que grâce aux allocations familiales. Nous cultivions beaucoup de légumes dans les jardins pour essayer de devenir un peu autonomes. La viande, qu’il s’agisse de porc ou de bœuf, nous n’en mangions pas, faute d’argent. » Cette vie sous surveillance s’est prolongée jusqu’à la fermeture du camp en 1966. Pourtant, les parents de Marie Dietrich Adiceam ont choisi de rester sur place, rachetant à la mairie deux corons vendus à bas prix. « Où aurions-nous pu aller ? C’était le seul endroit que nous connaissions. »
Longtemps, ces rapatriés d’Indochine ont gardé le silence, sans formuler de revendications. Mais depuis l’adoption en 2022 d’une loi reconnaissant la responsabilité de la France sur le sort des harkis rapatriés d’Algérie, et leur donnant accès à une indemnisation, Marie, qui co-préside l’Association des rapatriés de Noyant-d’Allier (Arina), demande également une forme d’égalité : « Pourquoi le gouvernement reconnaît-il cette histoire-là et pas la nôtre ? L’État français doit admettre que nous avons été entassés dans des camps où la misère régnait. Parmi notre génération, plusieurs personnes se sont suicidées, beaucoup ont sombré dans l’alcoolisme… Ces gens méritent réparation. Et surtout, il faut que notre mémoire soit préservée, car sinon, il ne restera plus rien de nous. »