Un an après la dispersion de l’Assemblée nationale, 42mag.fr est revenu dans une circonscription où la gauche avait choisi de se retirer afin de contrer la progression du Rassemblement national. Ce reportage propose des témoignages croisés d’électeurs, exprimant à la fois des sentiments de regret, une certaine résignation, ainsi que des espoirs mesurés pour l’avenir.
Le soir du 9 juin 2024, Emmanuel Macron faisait une annonce importante à l’issue des élections européennes, où le Rassemblement national avait remporté la majorité : il décidait de dissoudre l’Assemblée nationale et d’organiser des élections législatives anticipées. Le verdict de ce scrutin anticipé a été une victoire difficile pour le parti de Marine Le Pen, grâce à la mobilisation d’un front républicain dans plus de 200 circonscriptions, qui a abouti à la formation de trois groupes majeurs au sein du palais Bourbon. Ce résultat illustre parfaitement une France divisée en plusieurs camps.
Nous nous sommes rendues dans l’une de ces circonscriptions où la gauche a choisi de se retirer pour favoriser la majorité présidentielle. Il s’agit de la première circonscription du Loiret, un territoire aux caractéristiques contrastées : une partie assez rurale et une autre, très urbaine, qui correspond à la banlieue d’Orléans, composée à la fois de petits pavillons soignés et d’une cité populaire. Au premier tour des législatives de 2024, les résultats étaient très serrés entre Renaissance, le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national. À seulement 69 voix d’écart, Ghislaine Kounovski, candidate de gauche, a accédé à la deuxième place et a choisi de se désister.
Un front républicain qui a porté ses fruits
Nous avons retrouvé Ghislaine Kounovski, aujourd’hui pharmacienne retraitée, chez elle, dans le quartier de La Source, qualifié de sensible mais qui lui avait massivement apporté son soutien. « Cela fait 40 ans que j’habite ici, je m’y sens bien », raconte l’ancienne candidate. « J’ai exercé durant trente ans dans une pharmacie du quartier, où j’ai accueilli une clientèle composée de plus de 70 nationalités différentes, une expérience très enrichissante. »
Elle ne regrette pas sa décision de renoncer à se présenter au second tour, même si elle espère un changement. « Je pense que le front républicain a fonctionné, mais le problème reste qu’on n’arrive pas à dégager une majorité claire. » Ghislaine Kounovski ajoute : « Mon choix a été guidé par mon engagement républicain. Les habitants me connaissent bien, et certains ont eu du mal à comprendre, me disant : ‘Mais vous étiez à 69 voix !’ Pourtant, ils ne percevaient pas le danger qui planait en cas d’élection d’un député RN supplémentaire, susceptible de donner la majorité à ce parti à l’Assemblée nationale. Je leur ai demandé : ‘Et vous, dans vos quartiers populaires, où allez-vous ?’«
« C’est vraiment n’importe quoi ! »
Un an plus tard, quelles sont les opinions des électeurs de ce territoire ? Nous avons quitté le lotissement pour aller à la rencontre des habitants des HLM situés juste en face. Là, Hafsa, étudiante, se souvient du désistement de Ghislaine Kounovski aux législatives. « Elle a empêché le Rassemblement national de l’emporter. Je pense qu’elle a eu raison, mais peut-être que si elle avait continué jusqu’au bout, on aurait vu une légère remontée, on ne sait jamais… » Elle souligne cependant que ce barrage républicain n’a pas réellement freiné la montée des idées du RN.
« C’est un peu inquiétant, on ne sait pas où tout cela va nous mener. Il faudrait qu’on se mobilise davantage, notamment nous, les jeunes. »
Hafsaà 42mag.fr
Contrairement à Hafsa, son voisin Loïc, qui travaille dans une station de lavage auto, a perdu toute motivation pour voter en l’espace d’un an. Divorcé et père de famille, il dénonce : « Regardez tous les Premiers ministres qui se sont succédé, c’est vraiment n’importe quoi !… Un Premier ministre n’a pas le temps de faire son travail dans des délais si courts, c’est une situation absurde. » Il s’interroge également sur les raisons de cette incapacité à s’accorder : « Que ce soit à droite ou à gauche, il y a des réalités auxquelles on ne peut échapper. Moi, je vis ici et je suis un peu contraint, mais je constate que la population est, pour l’essentiel, très respectueuse et pas démunie. Il y a des problèmes, c’est certain, mais ce n’est pas dû à la présence d’étrangers, ça n’a rien à voir. » Loïc souhaite un climat politique plus apaisé : « Il faut aller vers les gens, discuter avec eux, comprendre leurs attentes. Des solutions existent, mais ce ne sont pas les extrêmes qui peuvent les apporter, c’est sûr. »
Une constatation d’immobilisme
Dans cette circonscription, près de 28 % des électeurs ont toutefois choisi de soutenir le Rassemblement national dès le premier tour, principalement en milieu rural. Nous nous rendons alors à Mareau-aux-Prés, petite commune située à 20 minutes d’Orléans et qui compte environ 1 700 habitants. Clément, tout juste sorti de la mairie après avoir officialisé son pacs, fait partie des quatre électeurs sur dix ayant voté RN aux deux tours. Il exprime son mécontentement face au front républicain :
« Ce n’est pas juste. C’est un peu de la triche. Je suis forcément frustré, parce qu’on espère un changement, mais au final, rien ne bouge, et en réalité, ça ne changera jamais. »
Clémentà 42mag.fr
Sans réelle conviction, Clément attend les prochaines élections, tout comme Michel, un manutentionnaire de 30 ans employé chez Amazon. « Lors de la présidentielle, j’avais voté pour Marine Le Pen, explique Clément. Pourquoi ne pas tenter l’expérience ? De toute façon, ça ne peut pas être pire. Néanmoins, j’ai le sentiment que, peu importe le candidat pour lequel on vote, rien ne changera. »
Une lueur d’espoir pour les élections municipales ?
Malgré tout, certains, notamment des militants, conservent un peu d’espoir. Au cœur du centre-ville d’Orléans, nous rencontrons des partisans d’Emmanuel Macron, qui ont un rôle difficile à tenir. « Être militant, c’est avant tout être présent sur le terrain, être à l’écoute des citoyens », explique l’une d’elles. « Une idée est bonne, peu importe qu’elle soit portée par la droite ou la gauche. » Un autre militant s’interroge : « Les élections municipales pourraient-elles également être le moteur d’un certain progrès dans ce domaine ? Il y aura forcément des coalitions qui émergeront en centre-ville. On peut espérer voir des élus défendre des valeurs positives puis, plus tard, porter ces idées à l’Assemblée nationale. »
Ce souhait d’un renouveau lié au scrutin municipal, où sont abordées les préoccupations du quotidien, traduit une soif de calme et de stabilité. Après deux jours passés dans cette circonscription du Loiret, nous n’avons entendu personne réclamer une nouvelle dissolution de l’Assemblée.