Yves Sintomer, qui enseigne les sciences politiques à l’Université Paris 8, est intervenu en tant qu’invité lors de l’émission La Matinale diffusée sur 42mag.fr, le jeudi 24 juillet.
Ce passage est extrait de la transcription de l’entretien présenté plus haut. Pour voir la discussion complète, cliquez sur la vidéo.
France Télévisions : Bruno Retailleau annonce la disparition du macronisme, critique la diplomatie empreinte de bons sentiments vis-à-vis de l’Algérie et laisse planer la possibilité de son départ du gouvernement. Quel jeu mène le ministre de l’Intérieur ?
Yves Sintomer, professeur en sciences politiques à l’Université Paris 8 : J’ai le sentiment qu’il cherche d’abord à monopoliser l’attention politique autour de sa personne et de ses idées, pour ainsi asseoir sa place.
Peut-on dire qu’il vise la tête pour l’élection de 2027 ?
Évidemment. Ce que nous observons est une sorte de « pré-pré-campagne » présidentielle, dont le but est de se distinguer en tant que candidat principal au sein de la coalition qui soutient actuellement le gouvernement.
Alix Bouillaguet, chroniqueuse politique pour 42mag.fr : Il ne faut pas perdre de vue qu’il porte deux casquettes. Ministre pendant la semaine, président des Républicains la semaine suivante… Il doit donc faire des concessions à différents publics, particulièrement à son parti, Les Républicains. Régulièrement, il reprend la parole pour marteler ses positions. C’est ce qu’il fait sur les questions d’énergies renouvelables, le budget ou encore l’Algérie. C’est une posture qu’il tient. Il navigue entre ces deux rôles. Cela ressemble beaucoup à la stratégie de Nicolas Sarkozy à l’époque où il dirigeait l’UMP tout en étant ministre de l’Intérieur. Cela lui avait plutôt réussi, puisqu’il était devenu candidat puis élu à la présidence. Retailleau semble donc suivre les traces de cet ancien président.
Bruno Retailleau critique cependant le « en même temps » d’Emmanuel Macron. Ne reproduit-il pas exactement cette même double posture actuellement, en jonglant entre ses deux fonctions ?
Yves Sintomer : Ce que Retailleau dénonce, c’est que le « en même temps » ne se joue pas entre gauche et droite, selon lui. Pour lui, ce « en même temps » correspondrait à soutenir à la fois la majorité gouvernementale et à faire résonner certains thèmes traditionnellement rattachés au Rassemblement national. Il souhaite ainsi élargir sa base vers l’extrême droite et apparaître comme une figure capable de s’imposer dans cet espace étroit entre la gauche et l’extrême droite, d’abord dans son propre camp, puis potentiellement lors d’un second tour face au candidat ou à la candidate du Rassemblement national.
Alix Bouillaguet : Je trouve que Bruno Retailleau n’a pas complètement tort lorsqu’il évoque que le « en même temps » exprime aussi une forme de faiblesse politique. Sur le papier, c’est louable de vouloir puiser les meilleures idées à droite comme à gauche, mais en réalité, Emmanuel Macron a créé un parti qui reste un assemblage hétéroclite. Il n’a jamais réussi à consolider un parti véritablement uni, presque comme une coalition active où chacun avancerait ensemble. Sur ce point, Retailleau soulève une question légitime sur la pérennité du macronisme au-delà d’Emmanuel Macron lui-même.
Yves Sintomer : Je dirais que la plupart des citoyens français perçoivent cet échec. L’impopularité persistante du président, du Premier ministre et de l’exécutif en témoigne. En effet, le pari du centre élargi n’a pas fonctionné, puisqu’il n’a pas effacé les clivages anciens qui reprennent vigueur. En soulignant cela, Bruno Retailleau dresse un constat partagé par beaucoup. Il me semble qu’il ne cible pas directement le président, mais plutôt d’éventuels rivaux à l’intérieur même de la majorité qui soutient le gouvernement.
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