Patrick Martin-Genier, professeur à Sciences Po et spécialiste des affaires européennes et internationales, est intervenu en tant qu’invité sur 42mag.fr le mercredi 23 juillet.
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France Télévisions : Emmanuel Macron s’est rendu en Allemagne afin d’évoquer principalement la question de la compétitivité économique. Selon les dernières prévisions de la Commission européenne publiées en mai 2025, la France devrait connaître le déficit public le plus élevé de la zone euro en 2025 et 2026. Peut-on considérer cette situation comme inédite ?
Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences Po et spécialiste des enjeux européens et internationaux : La conjoncture est effectivement délicate. Cela dit, il ne s’agit pas d’un phénomène totalement inédit. Historiquement, la France a toujours affiché un déficit budgétaire conséquent, tandis que l’Allemagne avait consigné dans sa Constitution une interdiction formelle d’accumuler un déficit public. Or, comme vous avez pu le constater, peu après les élections, le Bundestag s’est réuni dans sa composition précédente afin d’adopter une révision constitutionnelle autorisant désormais l’endettement de l’Allemagne pour financer des investissements s’élevant à plusieurs centaines de milliards d’euros sous la présidence de Merz. Cette évolution montre bien que la situation est complexe. Par ailleurs, il est important de noter que l’Allemagne a réalisé un effort significatif en réduisant les impôts, notamment pour les entreprises. Encore tout récemment, les 21 et 22 juillet, le chancelier Merz a rencontré des dirigeants du secteur privé. Lors de ces échanges, il a affirmé : « L’Allemagne est de retour ». En effet, la France traverse une période économique, politique et sociale très compliquée, tandis que l’Allemagne affiche un véritable dynamisme avec une forte volonté d’investir, des entreprises prêtes à mobiliser des capitaux importants, une baisse fiscale et parallèlement une hausse des salaires. Ce décalage entre les deux pays risque de freiner la dynamique de rapprochement et de coopération que l’on espère entre la France et l’Allemagne.
Quelle est précisément la perception allemande de la situation économique française ?
L’Allemagne, et en particulier Frédéric Merz, exprime une inquiétude marquée. Après les élections, lors d’une rencontre avec l’ambassadeur de France à Berlin, il y avait clairement une volonté manifeste de relancer le partenariat franco-allemand. Cependant, des différends subsistent. Par exemple, la question du futur système de combat aérien concentre de réelles divergences entre Paris et Berlin, compliquant la coopération sur ce dossier crucial. Mais l’urgence absolue ne réside pas uniquement là. Plus pressante encore est la question des droits de douane imposés par Donald Trump. Et sur ce sujet, les deux pays européens divergent également : Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, souhaite un accord rapide et simplifié avec la pleine adhésion de Friedrich Merz, alors que le président français appelle à une position plus ferme et rigoureuse vis-à-vis des États-Unis. Par ailleurs, l’immigration irrégulière est un enjeu de taille. Le ministre allemand de l’Intérieur, Alexander Dobrindt, accompagné de son homologue polonais, s’est rendu à la frontière avec le Bélarus afin d’évaluer les moyens de mieux combattre ce phénomène. De façon générale, malgré les tensions économiques et sociales qui affectent la France, Berlin demeure préoccupé notamment par les droits de douane américains et l’immigration clandestine. Cet état de fait s’inscrit aussi dans un contexte politique où les partis d’extrême droite, notamment l’AfD portée par Mme Weidel, progressent dans les sondages. Le programme de Merz s’articule donc autour de deux priorités clés : redynamiser l’économie et renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière.
Sur le dossier de l’immigration irrégulière, les dirigeants français et allemands semblent-ils s’accorder, notamment face à la montée de l’extrême droite dans leurs pays respectifs ?
Vous avez raison de souligner ce point, en effet. L’extrême droite est une préoccupation constante, largement mesurée par les sondages d’opinion. Lors des législatives du 23 février dernier, ce parti s’est positionné en deuxième force politique avec plus de 150 députés au Bundestag. Certains envisagent même une interdiction de ce parti, car il est actuellement sous la surveillance de l’Office fédéral de protection de la Constitution, ce qui traduit la gravité de la situation. Quotidiennement, des enquêtes d’opinion évaluent la progression de ce mouvement, particulièrement en vue des prochaines élections régionales dans certains Länder où l’AfD est même en tête, malgré les tentatives pour l’exclure du pouvoir. Cette montée génère une forte pression politique. La stratégie adoptée par Merz vise donc à afficher une posture ferme contre ce phénomène, comme en témoigne notamment le récent renvoi de plus de 80 ressortissants afghans, illustrant une politique restrictive affirmée. Un autre point de friction concerne la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières, non seulement entre l’Allemagne et la France, mais aussi entre l’Allemagne et la Pologne, ce qui complique la libre circulation et met en cause l’efficacité de l’espace Schengen.
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