Deux parlementaires suggèrent l’instauration d’un programme structuré et officiel de la part du gouvernement afin de combattre les tentatives de désinformation provenant de l’étranger, dans le but notamment de garantir la transparence et la sincérité des futures élections municipales ainsi que de l’élection présidentielle.
Il s’agit d’un « enjeu fondamental », met en garde la députée socialiste Marie Récalde, co-rapporteure d’un rapport d’information diffusé jeudi 4 juillet sur le site de l’Assemblée nationale. Ce document préconise l’élaboration d’une véritable stratégie nationale d’influence pour combattre la désinformation liée à des ingérences étrangères, notamment dans la perspective des élections municipales de 2026 et présidentielle de 2027.
La désinformation a connu une amplification sans précédent ces dernières années, portée par l’expansion des réseaux sociaux et l’apparition de nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle générative. Les tentatives d’ingérence russe ont visé successivement les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, les élections législatives françaises ainsi que la présidentielle américaine, notamment à travers des campagnes comme Matriochka, Storm-1516 ou Overload.
Près de 30 pistes pour une « stratégie nationale d’influence » robuste
Lors de la présentation du rapport devant la Commission de la défense nationale de l’Assemblée le jeudi 3 juillet, Marie Récalde et sa collègue macroniste Natalia Pouzyreff ont qualifié ces ingérences de véritables « conflits cognitifs » à remporter. Elles ont rappelé que la désinformation venue de l’étranger ne cherche pas toujours à convaincre directement les citoyens, mais plutôt à semer un « doute généralisé visant à discréditer les démocraties libérales ».
Le rapport propose une trentaine de mesures afin d’instaurer un plan d’action clair et coordonné à l’échelle gouvernementale. Il recommande notamment d’augmenter les effectifs de Viginum, le service étatique chargé de détecter et d’analyser les ingérences numériques étrangères, ainsi que ceux des ministères des Affaires étrangères, de l’Europe et des Armées, tous fortement mobilisés contre la désinformation. Plus encore, leur travail doit devenir plus visible et accessible. Selon les rapporteures, les rapports de Viginum sont aujourd’hui réservés à un public d’experts déjà convaincus, limitant ainsi leur portée. Elles préconisent que la communication gouvernementale gagne en efficacité, rapidité et en aspect « ludique », afin d’accroître son impact et son engagement sur les plateformes sociales.
Parmi les propositions, figure aussi l’interdiction des recettes publicitaires aux sites diffusant de fausses informations. À ce jour, ces sites parviennent à générer environ 2,6 milliards de dollars annuellement via les publicités, d’après Newsguard, une entreprise américaine spécialisée dans la lutte contre la désinformation. Dans le même esprit, la création d’une « réserve informationnelle » est suggérée, à l’image de la réserve diplomatique : un réseau de citoyens formés pouvant intervenir sur tout le territoire national pour combattre les infox, notamment dans des espaces où l’État est moins présent, tels les groupes privés Facebook. Enfin, le rapport souligne aussi l’importance d’aggraver les sanctions à l’encontre des diffuseurs de désinformation et de mieux encadrer la diffusion de fausses nouvelles en période électorale.
Un débat parlementaire attendu sur une stratégie plus proactive
La question fondamentale qui se pose est celle de savoir si c’est véritablement au gouvernement et aux responsables politiques de prendre en charge la lutte contre la désinformation. Parviendront-ils à trouver un consensus ? Les rapporteures souhaitent que le Parlement engage un débat sur l’adoption éventuelle d’une stratégie plus offensive dans ce domaine. Cette proposition a reçu un accueil favorable de l’ensemble des groupes politiques à l’Assemblée nationale. Toutefois, la députée écologiste Delphine Batho a alerté lors de la présentation sur les manipulations électorales, mentionnant le cas des précédentes élections roumaines annulées en raison de tels actes, et rappelant que « cela signifie qu’il existe des bénéficiaires de ces manipulations électorales, qui peuvent même siéger au sein de l’Assemblée nationale ».
Les deux co-rapporteures, l’une socialiste, l’autre macroniste, ont essentiellement mis l’accent sur les campagnes de désinformation venant de Russie, considérée comme la menace principale actuellement, devant la Chine, l’Iran, le Maroc, le Qatar, la Turquie et l’Azerbaïdjan, selon un rapport parlementaire antérieur de juin 2023. Face à elles, Aurélien Saintoul, député de La France insoumise, a salué le travail accompli et confirmé la nécessité de combattre la désinformation, mais il a exprimé ses réserves quant à l’orientation ultra offensive proposée, qui lui semble contredire les valeurs de son mouvement. Il a également rappelé que la désinformation n’est pas un phénomène récent, évoquant notamment des campagnes menées par les États-Unis ciblant des pays communistes.
Concilier la lutte contre la désinformation avec la préservation des libertés
Un des défis majeurs dans la mise en place de cette stratégie d’influence réside dans le risque d’instaurer une forme de censure de la pensée. Le député socialiste Sébastien Saint-Pasteur a insisté sur la nécessité de veiller à un juste équilibre entre la défense des libertés fondamentales d’expression et de pensée, et l’effort contre la désinformation. Les rapporteures insistent d’ailleurs sur ce point, souhaitant éviter toute dérive autoritaire, raison pour laquelle elles plaident pour un débat transparent au Parlement. Elles ont à plusieurs reprises affirmé qu’il ne s’agirait pas de créer un « ministère de la parole », ni de tomber dans un « piège liberticide » tendu par les adversaires de la France. Ceci sans toutefois faire preuve de naïveté face aux stratégies de manipulation et aux objectifs de déstabilisation qui s’y cachent.
Marie Récalde et Natalia Pouzyreff rappellent aussi que Viginum, déjà pleinement engagé dans la lutte contre la désinformation, produit des analyses visant à mettre au jour les acteurs étrangers et leurs méthodes, sans pour autant juger ni le fond des messages, ni intervenir dans les débats politiques nationaux. Viginum n’a donc pas vocation à traiter des fausses informations émanant par exemple d’une formation politique contre une autre, et cela devrait rester ainsi.
Cependant, leur rapport mentionne également l’idée de « proposer un récit alternatif au reste du monde », afin d’éviter que la France ne perde la guerre de l’information, comme cela s’est produit au Sahel face à la Russie et, par le passé, aux milices Wagner. Elles estiment aussi que cette stratégie doit aider à freiner la progression du populisme en Europe, phénomène qu’elles attribuent en partie aux ingérences numériques russes. Il reste toutefois peu probable que le Rassemblement national, allié européen de ces mouvements populistes, adhère à une telle analyse.