La rencontre initialement programmée jeudi entre le ministre de l’Intérieur et le chef de l’État, destinée à aborder la question de l’Algérie, un thème qui suscite des frictions entre Les Républicains et la majorité présidentielle, a finalement été décalée. Il convient de préciser que ce rendez-vous avait été fixé avant la publication de l’interview très virulente accordée par Bruno Retailleau au magazine « Valeurs actuelles ».
Bruno Retailleau sait parfaitement comment préparer le terrain avant une rencontre programmée depuis longtemps avec son supérieur hiérarchique. Il reproche au macronisme de « nourrir un sentiment d’impuissance » et considère que ce mouvement appartient presque déjà au passé. Depuis la parution de cette interview, les « chiens de garde » du président Emmanuel Macron, selon l’expression d’un conseiller chez Les Républicains, se sont manifestés avec vigueur. L’ensemble des soutiens macronistes s’est bien entendu empressé de critiquer vivement le ministre de l’Intérieur. Néanmoins, Retailleau ne prévoit pas d’aborder ces différends directement avec le chef de l’État lors de leur rendez-vous du jeudi 24 juillet. À l’inverse, il doit s’entretenir avec le Premier ministre à 20 heures ce même jour.
Pour l’instant, le président se contente d’envoyer des messages plutôt énigmatiques. Lors du conseil des ministres tenu mercredi, il n’a pas ouvertement réprimandé Bruno Retailleau, mais il a subtilement appelé à plus de solidarité au sein du gouvernement, en insistant sur la nécessité de préparer le budget dans l’unité. Par ailleurs, il a interpellé Retailleau concernant les récentes violences en milieu urbain, évoquant en passant la baisse des effectifs policiers sous le mandat de Nicolas Sarkozy. Sur ce dernier point, le ministre partage cette appréciation, ce qui fait que Bruno Retailleau ne s’est jamais senti visé personnellement. En revanche, plusieurs macronistes y ont décelé un signe voilé de mécontentement présidentiel et une invitation implicite à ce qu’il se concentre pleinement sur sa mission principale : garantir le maintien de l’ordre.
Une alliance « forcée » et coincée
La cohésion de cette alliance politique reste difficile à percevoir clairement. Il ne s’agit pas d’une union affective, mais plutôt d’un mariage d’intérêt. Les macronistes ont intégré Les Républicains au gouvernement pour conserver leur position au pouvoir, alors que la gauche avait dominé les législatives et que la droite LR voyait là une occasion bienvenue de retrouver des postes ministériels après plusieurs années d’absence. Tout cela, tout en assumant ouvertement leurs divergences avec le macronisme. On parle du gouvernement comme d’une formation polyphonique, une assemblée de sensibilités diverses. Mais, en réalité, cela rapproche plutôt d’une colocation qui dysfonctionne, où chaque groupe a des goûts différents, fréquente des cercles dissemblables, et où certains colocataires mettent la musique à fond tard dans la nuit alors que d’autres doivent se lever tôt le lendemain matin. Un membre du gouvernement résume la situation ainsi : « Avec LR, on est mutuellement coincés, on a besoin d’eux, ils ont besoin de nous. »
La vraie question est de savoir combien de temps cette situation peut perdurer. Tout dépendra de qui craquera en premier. Emmanuel Macron est-il capable de supporter encore longtemps un ministre aussi bruyant ? « Je ne crois pas. Il va falloir qu’il clarifie les choses, qu’il mette les points sur les i », s’agace un proche du président. Cependant, le contexte politique particulièrement délicat n’incite pas à provoquer une rupture avec Les Républicains. Quant à Bruno Retailleau, combien de temps poursuivra-t-il sa ligne de tension avant de passer à l’acte et de démissionner, comme il laisse parfois entendre ? « S’il part maintenant, merci, au revoir, et dans un an, plus personne ne s’en souviendra », raille une personnalité macroniste. En résumé, cette cohabitation pourrait durer jusqu’au moment où l’un des camps trouvera plus d’avantages à la séparation qu’à cette vie commune contraignante.