Selon l’avocat Arnaud Gossement, la décision rendue par les Sages renforce le droit pour chacun de vivre dans un cadre environnemental garantissant à la fois l’équilibre écologique et la protection de la santé, droit inscrit dans les textes du bloc constitutionnel.
À l’occasion des vingt ans de la Charte de l’environnement, on assiste à une réinvention de ce texte qui reconnaît les droits et les devoirs fondamentaux liés à la protection du milieu. Promulguée en mars 2005, elle a longtemps été peu mobilisée par les magistrats… Jusqu’au jeudi 7 août, lorsque le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur l’article premier de la Charte pour justifier la censure de l’article 2 de la loi Duplomb, qui prévoyait la réintroduction sous conditions de l’acétamipride, pesticide issu de la famille des néonicotinoïdes. Une décision « historique », selon certains spécialistes. Franceinfo vous explique pourquoi.
Elle confirme la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement
La Constitution française du 4 octobre 1958 n’est pas le seul texte au sommet de la hiérarchie normative. Il existe en réalité un « bloc de constitutionnalité » qui regroupe l’ensemble des normes ayant une valeur équivalente à celle de la Constitution. Parmi elles figurent notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946… et la Charte de l’environnement, qui a été intégrée à ce bloc le 1er mars 2005 grâce à une révision constitutionnelle.
« Nous savions déjà qu’elle avait le même rang que la Constitution. Mais elle était peu utilisée par les juges. Il existe peu de décisions où une loi ou un décret a été annulé en invoquant la Charte de l’environnement », explique Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement. En conséquence, « certains s’interrogeaient sur la portée concrète de cette charte… », complète-t-il. La décision du Conseil constitutionnel du 7 août dissipe ces questionnements. « Cela renforce l’autorité et la portée de la Charte », assure l’avocat.
Elle consacre l’article 1er « de manière autonome »
La censure opérée par le Conseil constitutionnel, fondée sur la Charte de l’environnement, est une particularité, juge Arnaud Gossement. Pourquoi ? « Parce que c’est la première fois que les juges opèrent une censure en se fondant uniquement sur l’article premier de cette Charte », déclare l’expert. Cet article prévoit que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ». « C’est une décision historique et la consécration de ce droit de manière autonome », observe ce spécialiste.
Dans leur décision, les magistrats du Conseil constitutionnel ont, en effet, reconnu que le législateur avait « privé de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l’article 1er de la Charte de l’environnement », en « permettant de déroger dans de telles conditions à l’interdiction des produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes ».
Il est « très rare » que les juges constitutionnels s’appuient sur la Charte de l’environnement, confirme Bertrand-Léo Combrade, spécialiste en droit constitutionnel. « On compte une soixantaine de décisions en lien avec la Charte de l’environnement, alors qu’elle date de 2005. C’est peu », renchérit son confrère Thibaud Mulier. Cela a notamment été le cas pour une décision relative à la loi d’orientation agricole rendue le 20 mars 2025.
« Ce n’est vraiment pas comparable », précise Arnaud Gossement. « Il s’agissait d’une « petite censure » et le Conseil constitutionnel s’était aussi appuyé sur l’article 3 de la Charte », assure-t-il. « Jusque-là, il avait fallu combiner plusieurs dispositions. Là, il applique l’article premier de manière autonome ». De plus, « la notoriété de la mesure censurée fait la notoriété de la décision du Conseil constitutionnel. La portée n’est pas la même », conclut-il.
Elle s’inscrit dans un contexte judiciaire favorable au droit de l’environnement
Les portes du Conseil constitutionnel ne sont pas totalement hermétiques face aux bouleversements sociétaux et au changement climatique. « Cette décision s’inscrit dans un contexte d’émergence du droit de chacun à vivre dans un environnement sain et équilibré », développe Arnaud Gossement.
D’autant plus que la Cour internationale de justice a rendu un avis consultatif allant dans le même sens, le 23 juillet. Les États ont « des obligations strictes de protéger le système climatique », soutiennent les juges de la plus haute juridiction des Nations unies, et ceux qui violent leurs engagements climatiques commettent un acte « illicite ». Une décision qui a dépassé les attentes des défenseurs du climat. Les législateurs, avocats et magistrats du monde entier peuvent désormais s’en saisir pour adapter les lois ou poursuivre les États pour leur inaction.
D’autres procédures contentieuses pourraient ainsi être engagées sur le fondement de cet avis de la Cour internationale de justice et, en France, sur la Charte de l’environnement, dont le statut est désormais renforcé. Certaines sont d’ailleurs en cours. Des associations de protection de l’environnement et des citoyens victimes ont annoncé, fin juin, avoir déposé un recours devant le Conseil d’État afin d’obliger le gouvernement à renforcer sa politique d’adaptation au changement climatique. Ce recours juridique s’appuie sur « l’obligation générale d’adaptation à la charge de l’État, issue des textes constitutionnels, en particulier la Charte de l’environnement », assurent les ONG Greenpeace, Notre affaire à tous et Oxfam.