Le projet de loi visait notamment à augmenter la durée de rétention administrative des étrangers condamnés pour certains faits graves, en la faisant passer de 90 jours à 210 jours dans les centres compétents. La décision rendue par les Sages provoque des réactions au sein de la classe politique.
Le Conseil constitutionnel a non seulement caviardé une partie de la loi Duplomb, mais il a aussi invalidé le volet relatif à la rétention administrative des étrangers (CRA). Cette décision apparaît comme un camouflet pour le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui avait fait de cette mesure l’un des pivots de sa lutte contre l’immigration. Les Sages estiment toutefois que les nouvelles dispositions vont trop loin, notamment en prévoyant de prolonger deux fois plus longtemps le maintien en détention d’étrangers jugés dangereux en attente d’expulsion.
Face à cette décision, les réactions ont été vives. Fanélie Carrey‑Conte, secrétaire générale de la Cimade, a déclaré à l’AFP que cela sonnait comme un avertissement adressé au ministre et aux parlementaires ayant voté la loi, leur rappelant que dans un État de droit, on ne peut pas agir avec impunité lorsqu’on prive quelqu’un de sa liberté. Sur le réseau X, le député insoumis Thomas Portes a évoqué une défaite pour le ministre Retailleau et pour sa ligne politique perçue comme raciste. Pour Sacha Houlié, du groupe Place Publique, le Conseil a jugé que les mesures démagogiques soutenues par Retailleau et l’instrumentalisation de faits divers sordides étaient disproportionnées.
À l’inverse, les partisans de la mesure ont exprimé une grande déception. Selon eux, la situation dans les pays voisins montre que les étrangers peuvent être retenus jusqu’à 18 mois, alors qu’en France le Conseil constitutionnel verrouille la période à 90 jours, et cela, estiment-ils, affaiblit la protection des citoyens. Hanane Mansouri, porte‑parole du groupe UDR, a pour sa part estimé que des juges qui ne sont pas élus mettaient délibérément en danger la vie des Français en validant cette orientation.
Le Conseil valide certaines mesures
La proposition portée par Bruno Retailleau et par des sénateurs républicains a émergé à la suite de l’affaire Philippine en septembre 2024, lorsqu’une jeune fille a été tuée par un homme marocain soumis à une obligation de quitter le territoire (OQTF). Le ministre de l’Intérieur avait alors plaidé pour « changer les règles afin de mieux protéger nos compatriotes ». L’idée était de porter la durée maximale de rétention en centre de rétention administrative (CRA) de 90 à 210 jours, une amplitude qui existe déjà pour les personnes condamnées pour terrorisme.
Pour le Conseil constitutionnel, cette mesure est jugée disproportionnée et contraire aux libertés individuelles. Selon les Sages, la réforme visait à enfermer des personnes qui ne s’étaient pas rendues coupables d’infractions particulièrement graves et à laisser au juge le soin de décider de l’emprisonnement si la menace persistait ou si le sujet risquait de prendre la fuite.
En revanche, le Conseil a validé certaines dispositions de la loi, notamment l’autorisation de relever les empreintes digitales et de prendre des photographies d’un étranger sans son consentement lors de son placement en CRA. Historiquement, la durée maximale de rétention en CRA était de dix jours en 1993, avant d’être « exceptionnellement » étendue à 90 jours en 2018 (loi Collomb). En 2024, 40 592 personnes ont été retenues dans les 25 centres de rétention administrative en France, contre 46 955 en 2023.