Dans l’édition du créneau 11h/13, diffusée le vendredi 29 août, Éric Coquerel — président de la commission des Finances de l’Assemblée et député LFI représentant la Seine-Saint-Denis — répond aux avertissements formulés par François Bayrou au sujet du budget et de la dette. Il insiste notamment sur les « cadeaux fiscaux » accordés par Emmanuel Macron et ses gouvernements aux plus riches depuis son arrivée à l’Élysée.
Tandis que le Premier ministre multiplie les prises de parole pour défendre son budget et que ses coupes budgétaires, jugées lourdes par l’opposition, suscitent la contestation, Éric Coquerel, président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale et député La France insoumise de la première circonscription de la Seine-Saint-Denis, lui répond en contestant fermement ses constats qu’il juge alarmistes. Il dénonce ce qu’il décrit comme un « catastrophisme » destiné à légitimer une politique que l’élu déplore dans le cadre de l’émission « 11h/13h » du vendredi 29 août, face à Florence O’Kelly et Antoine Comte.
Ce passage provient d’une portion de la retranscription de l’entretien ci-contre. Pour le visionner en intégralité, cliquez sur la vidéo.
Florence O’Kelly : Quelle est votre réaction face à l’inquiétude exprimée par les chefs d’entreprise, face à un effort qui leur serait demandé sans contrepartie ? Vous entendez bien ?
Éric Coquerel : L’effort éventuel qui leur serait demandé, ce serait simplement de payer les impôts qui leur incombent. Et je me méfie de l’étiquette « les patrons » appliquée de manière générale, car, par exemple, aujourd’hui, une multinationale paie moins d’impôt qu’une PME ou qu’une TPE, ce qui pose problème. D’autant plus que c’est dans ces secteurs-là, chez les ultra-riches notamment, que M. Macron a choisi d’octroyer des cadeaux fiscaux depuis 2017, ce qui entraîne une diminution des recettes de l’État d’environ 3%, et explique les déficits. Car, contrairement à ce que beaucoup pensent, ce ne sont pas les dépenses publiques qui ont flambé, elles restent relativement stables depuis 2017. Le vrai problème pour l’État, c’est qu’il s’est appauvri en offrant ces cadeaux fiscaux, en espérant que cela stimulerait l’économie. Or ce n’est pas ce qui s’est passé. Tous les indicateurs sont au rouge, et c’est à partir de là qu’il faut rompre aujourd’hui.
« François Bayrou », il y a quelques instants à Chalon-en-Champagne, a prononcé des mots qui ont surpris, frôlant l’appel à une révolution et à la libération des chaînes. Il continue de tirer la sonnette d’alarme à J-10, désormais, sur ce vote de confiance concernant le poids de la dette, en formulant ces avertissements de façon plus prononcée que jamais.
Qu’il cesse avec les clichés et le catastrophisme. En gros, il s’appuie un peu sur la pression des marchés, parce que c’est ce qu’il fait depuis quelque temps, en décrivant une réalité qui n’est pas celle du jour en matière de dette, afin de prétendre s’en sortir. C’est une action extrêmement nuisible pour le pays. Laissez-moi vous expliquer.
Ce n’est pas la pression des marchés. Il place la culpabilité sur une génération par rapport à une autre…
Il s’agit d’une nouvelle version, la culpabilisation des nouvelles générations, et j’y reviendrai. Mais lors d’un échange avec l’un de vos collègues, au début de la semaine, on parlait des marchés. On disait : « on risque de ne plus trouver de prêteurs, les taux d’intérêt vont monter en flèche »… Tout cela est faux. Vous savez qu’au mois d’août, la France a procédé à une levée d’emprunt et a reçu quatre fois plus de demandes que d’offres. Pourquoi ? Parce que la France demeure l’une des 15 places les plus sûres au monde pour emprunter.
Il faut faire attention aux catastrophistes qui font en sorte de justifier la fin du modèle social français
Les taux augmentent.
Ils n’augmentent pas de façon spectaculaire. Ils ont déjà connu des niveaux bien plus élevés par le passé. Par exemple, en 2007. L’élément crucial, c’est la charge de la dette. Aujourd’hui, cette charge équivaut à 2 % du PIB. Savez-vous à quel niveau elle était en 2007 ? Elle frôlait les 3 %. Donc, cessons de nous faire croire que nous sommes dans une situation si exceptionnelle qu’il faudrait vendre l’intégralité du patrimoine, appauvrir l’État, geler les prestations sociales et les pensions, ou demander aux salariés deux journées de travail gratuites pour régler ces dettes qui, rappelons-le, s’expliquent. Et cela est d’autant plus problématique lorsque ces dettes s’expliquent, non pas par des investissements nécessaires, mais par des cadeaux fiscaux accordés aux plus riches. On réclame à tous les Français de payer les cadeaux fiscaux des plus riches. C’est inacceptable.
Pour revenir à la question de la charge de la dette, ce que le Premier ministre avance ce matin, c’est que cette charge s’élevait à 30 milliards en 2020, qu’elle atteindra 67 milliards cette année et, si l’on poursuit sur cette trajectoire, atteindra 100 milliards en 2029. On parle bien d’un doublement.
Cela dit, si l’on poursuit avec la même ligne politique, cela pourrait encore augmenter. Car il faut noter qu’en l’an dernier, les dépenses publiques ont déjà été réduites d’environ 30 milliards. On en a même ajouté 10 milliards au cours de l’année sans en être véritablement transparent. Avez-vous constaté une amélioration de la situation économique, une amélioration marquée du déficit ou une amélioration de la dette ? Non. Cette politique est donc mauvaise. Pourquoi ? Parce qu’il faut comprendre une chose: lorsque l’on réduit les dépenses publiques et les prestations destinées à la population, on effrite le pouvoir d’achat et l’on provoque un effet récessif sur l’économie. Or, comme cela se produit en début d’année, les recettes fiscales diminuent. Par exemple, la TVA est inférieure à ce qui était attendu. On nous propose donc une politique qui non seulement fragilise l’industrie en dessous de 10 % du PIB, mais qui fait exploser la pauvreté dans le pays — un niveau sans précédent en Europe — et cela m’inquiète pour les générations futures, notamment en réponse à ce que dit Bayrou. L’an dernier, pour la première fois, les investissements dans l’écologie ont reculé, même alors que le dérèglement climatique se traduit par des catastrophes. Et tout cela, sans même atteindre les objectifs de déficit; c’est une politique qu’il faut rompre.
Antoine Comte : François Bayrou, Premier ministre, vous proposez aussi d’établir le constat selon lequel la France serait endettée, voire au bord du surendettement. C’est bien là, selon lui, le sens du vote de confiance…
Éric Coquerel : Bien sûr, mais je ne partage pas ce bilan.
Vous n’êtes pas d’accord pour dire que le pays est au bord du surendettement ?
Non, je n’adhère pas à cette vision.
Vous soutenez que tout va bien ?
Non, ce n’est pas ce que je dis. Je pense que depuis le début du mandat d’Emmanuel Macron, et surtout ces deux dernières années, la situation économique s’aggrave et les difficultés, notamment en matière de pouvoir d’achat des ménages, deviennent de plus en plus criantes — ce qui est le moteur même de l’activité économique en France. Par exemple, l’Allemagne n’est pas épargnée: elle traverse une récession depuis trois ans. Je ne prétends pas que tout va bien. Je dis qu’il faut se montrer prudent face aux catastrophistes qui utilisent la dette pour justifier, en réalité, une réduction du socle social, à savoir le gel des budgets de la majorité des ministères et des services publics, sous prétexte de restrainte budgétaire. C’est exactement cela dont il est question. La dette, telle qu’elle est aujourd’hui, est gérable. Je n’affirme pas qu’elle est idéale, mais elle peut être maîtrisée. Et si vous me suivez, j’ajoute que les cadeaux fiscaux aux plus riches jouent un rôle majeur dans ce déséquilibre. Mais, par exemple, les Allemands envisageront un déficit de 60 milliards pour leur économie.
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