Dans l’édition de l’émission « La Matinale », diffusée ce samedi 20 septembre, Benjamin Lucas-Lundy, député écologiste représentant les Yvelines, partage son analyse sur la nomination de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre.
Dans l’édition « La Matinale » du samedi 20 septembre, le député écologiste des Yvelines, Benjamin Lucas-Lundy, réagit à la nomination de Sébastien Lecornu au poste de Premier ministre au sein du groupe qui soutient Emmanuel Macron. L’élu conteste ce choix et appelle à tourner la page du clan présidentiel. « Je suis dans une logique de censure », affirme-t-il, interrogé par Serge Cimino.
Ce passage représente une portion de la retranscription de l’entretien ci-contre. Cliquez sur la vidéo pour l’écouter dans son intégralité.
Brigitte Boucher : Les syndicats ont adressé un ultimatum à Sébastien Lecornu, qui leur a répondu en leur proposant un rendez-vous mercredi matin, à 10 heures, à Matignon. Pensez-vous qu’un accord soit envisageable ?
Benjamin Lucas-Lundy : Je n’en suis pas convaincu. J’aimerais y croire, mais je suis persuadé que Lecornu a été installé par le président pour poursuivre sa politique. Sinon, Emmanuel Macron aurait accepté, au lendemain des élections législatives, de céder le pouvoir. Cela fait plus d’un an qu’on observe, avec Macron, que son bilan prévaut sur tout le reste, déni démocratique. Ainsi, nous faisons face à un désaccord sur la place que doit occuper la justice sociale et la justice fiscale dans le pacte républicain qui nous lie.
Sébastien Lecornu est allé à la rencontre des députés Renaissance lors de leur journée parlementaire et a déclaré que « si on ne montre pas qu’on change, ce sont les Français qui nous changeront ». Est-ce que cela suppose une prise de conscience ?
Non. On nous a déjà roulés avec M. Barnier en nous disant qu’il avait négocié le Brexit et qu’il serait capable d’unifier des personnes qui ne sont pas d’accord. On nous a resservi le même scénario avec M. Bayrou, présenté comme centriste et annonçant la fin des clivages après trente ou quarante ans. Or dans les deux cas, l’expérience a échoué. Et pourquoi Lecornu, qui est l’homme du président et presque son collaborateur à Matignon aujourd’hui, serait-il en mesure de réaliser ce que ses prédécesseurs n’ont pas réussi, alors que les Françaises et les Français veulent tourner la page de la Macronie, mettre fin à une décennie de politique néolibérale qui a creusé les inégalités ? On ne peut pas attendre des pyromanes qu’ils deviennent les pompiers.
Après votre rencontre avec Sébastien Lecornu cette semaine, voyez-vous des marges de négociation ou vous rangez-vous encore dans une logique de censure ?
Notre groupe va se concerter. Pour ma part, je suis dans une logique de censure. Je n’ai pas l’impression d’être seul dans mon groupe, mais je ne parlerai pas au nom des autres avant une décision collective. Ce que je peux dire toutefois, c’est qu’il est nécessaire d’affirmer une certaine fermeté face au chef de l’État qui, encore une fois, a refusé d’appliquer le résultat des élections législatives. Les Français réclament une rupture et un changement de cap, et ils voient d’un mauvais œil que l’issue de ce scrutin soit gérée par le plus macroniste des macronistes à Matignon. Il faut aussi témoigner du respect dû au peuple et aux parlementaires. Nous avons renversé le gouvernement Bayrou non pas pour sa personnalité mais parce que nous étions en désaccord avec son orientation économique et politique.
Mais vous n’avez pas de majorité pour appliquer votre programme à gauche. La plus forte majorité relative est avec le socle commun.
Non, personne n’en dispose. Il existe une majorité relative qui s’est ralliée au Nouveau Front Populaire. Lors des législatives, Macron a tenté d’empêcher le barrage républicain. Or il y a bien eu un élan républicain et une majorité relative en faveur du Nouveau Front Populaire. Le président ne nous a même pas laissé la possibilité de gouverner quelques semaines. Il y a là une négation démocratique. Je suis responsable devant les électrices et les électeurs qui m’ont accordé leur vote sur des engagements forts, notamment en matière de justice sociale, de justice fiscale, de réduction des inégalités, de lutte contre la pauvreté et de défense de nos services publics; tout cela est incompatible avec le projet des macronistes, que je prends au sérieux. Je respecte M. Lecornu: il porte une histoire et des convictions, mais elles divergent des miennes. C’est le fonctionnement même de la démocratie.
« Il faut revenir sur une décennie de cadeaux sans contrepartie aux grandes entreprises »
Si Sébastien Lecornu s’engageait en faveur de la justice sociale et de la justice fiscale, jusqu’où iriez-vous pour obtenir le soutien des écologistes ?
Si tel était le cas, ce serait pour Lecornu un aveu de reniement, car il ne s’agit pas d’un simple ajustement mais d’un changement total de philosophie et d’orientation. Aujourd’hui, nous estimons que notre contrat social est menacé par l’explosion des inégalités et par l’indécence de l’extrême richesse qui accompagne l’accroissement de la pauvreté. Il faut donc mettre fin à une décennie de cadeaux sans contrepartie accordés aux grandes entreprises, à des exonérations fiscales pour les ultra-riches, à l’affaiblissement des services publics et à la stigmatisation des chômeurs et des plus précaires. Il faut déconstruire tout l’héritage du bilan d’Emmanuel Macron et mener une autre politique.
Mais la dette vous préoccupe-t-elle, l’agence Fitch vous a dégradés. Êtes-vous aussi dans une logique de réduction de la dette pour rester fidèle à nos engagements européens ? En êtes-vous conscients ?
Je pense que nous sommes bien plus crédibles que ceux qui ont mis la voiture dans le fossé et qui veulent que nous repassions le permis pour expliquer comment nous ferions. Voici quelques exemples pour réduire les déficits : 211 milliards d’euros de cadeaux publics accordés aux grandes entreprises, sans contrepartie, sans conditionnement, sans plafonnement. Nous pouvons réorienter une partie de ces aides pour les rendre plus utiles et efficaces afin de soutenir la relance économique. Par ailleurs, l’austérité budgétaire défendue par Bayrou et adoptée par Lecornu, en tant que membre de ce gouvernement, serait synonyme de ralentissement économique, de baisse du pouvoir d’achat, de diminution des services publics et de récession.
Vous avez signé la motion de destitution d’Emmanuel Macron par la France Insoumise. Êtes-vous favorable à ce que le président quitte son poste ?
Je suis conscient de la gravité d’un tel acte. Je ne pensais pas, lors de mon élection en 2022, signer ce type de motion. Cependant, nous traversons une étape historique particulière. Je crois que le président mérite une sanction ferme du Parlement. Il ne semble plus être le garant de l’intérêt général: il a piétiné la démocratie en refusant de respecter le résultat des élections législatives de 2024. Des révélations du Figaro indiquent que Macron a tout fait pour empêcher les désistements républicains et donc favoriser le barrage républicain face à l’extrême droite. Cela signifie que Macron a pris le risque cynique d’ouvrir la porte à l’extrême droite. J’ai peur de ce qui pourrait arriver si cette tendance se poursuit. Je ne peux pas accepter d’avoir été complice, dans quelques années, de la montée de l’extrême droite. Macron, selon moi, dévitalise tout; il avait promis la fin du clivage gauche-droite, et regardez où cela nous mène. Il a été réélu deux fois sur la base du barrage républicain. Aujourd’hui, c’est une trahison majeure. On ne peut pas laisser faire. Les Français se sont mobilisés lors des seconds tours de 2007 et de 2022, puis massivement lors des législatives de 2024 pour dire qu’ils ne veulent pas voir l’extrême droite diriger le pays. Or les signaux d’un pouvoir proche de lepénisme persistent, et des révélations laissent penser que Macron aurait même souhaité une victoire de l’extrême droite. Cela ne peut pas continuer.
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