En dépit d’un plan budgétaire qui laisse insatisfaits à la fois les élus des LR et les socialistes, le Premier ministre n’a pas été renversé jeudi, grâce à l’absence de censure du PS.
La salle des Quatre Colonnes de l’Assemblée nationale résonne, ce jeudi matin du 16 octobre, en plusieurs langues — anglais, espagnol, arabe et bien d’autres — alors que les députés examinent deux motions de censure visant le gouvernement. Depuis la chute du premier cabinet de Sébastien Lecornu après environ quatorze heures, l’attention des médias du monde entier est revenue sur la crise politique française. Pourtant, l’intensité dramatique n’a pas retrouvé son niveau le plus élevé, puisque le Premier ministre reconduit a annoncé mardi la mise en pause de la réforme des retraites. Cette suspension a désamorcé le risque et a permis à l’élu de l’Outre-Mer, appelé ici l’Eurois, d’obtenir une non-censure de la part du Parti socialiste, dont les voix semblaient déterminantes pour éviter une démission du gouvernement. Les 69 élus qui constituent ce groupe ont suivi majoritairement la consigne et n’ont pas voté les motions, à l’exception de sept députés.
Le signe que l’inquiétude n’atteint pas son paroxysme se voit dans l’assistance encore très clairsemée à 9 heures, lorsque débute l’étude de la motion de censure déposée par La France insoumise. À la tribune, Aurélie Trouvé, élue de Seine-Saint-Denis, tente de persuader les parlementaires encore hésitants de censurer, affirmant que la suspension de la réforme des retraites « n’est qu’un leurre, une tromperie, un subterfuge ». Puis c’est au tour de Marine Le Pen d’attaquer les « partis unis par la terreur de l’élection » et d’indiquer attendre la dissolution « avec une impatience croissante ». Cette candidature féminine et triplée à l’élection présidentielle est en effet la seule chef de groupe à prendre la parole ce jeudi matin.
Alors que Sébastien Lecornu s’apprête à prendre la parole, Boris Vallaud, président du groupe socialiste, entre dans l’hémicycle et rejoint Laurent Baumel, député d’Indre-et-Loire et porte-parole du PS, sur des rangs largement vides non seulement du PS, mais aussi des centristes, des macronistes et de la droite.
La faible affluence: un signe plutôt réconfortant
Au sein du socle parlementaire, on ne s’inquiète pas de cet absentéisme, bien au contraire: lors d’un vote portant sur une telle motion, seuls les députés appelés à censurer placent leur bulletin dans l’urne. « C’est plutôt bon signe qu’on soit peu nombreux », confirme un collaborateur du travail parlementaire. Toutefois, cela ne rend pas la tâche plus facile pour certains orateurs, comme le Premier ministre, qui est fortement sifflé par le Rassemblement national et par La France insoumise, alors qu’il résume l’alternative: « Soit nous entrons dans les débats budgétaires, soit, on s’enfonce définitivement dans la crise politique ». Il en va de même pour Laurent Baumel, chargé de défendre une position socialiste délicate alors que la majorité de ses camarades est absente.
Jusqu’au bout, les alliés du Nouveau Front populaire espèrent convertir le PS et démontrer des dissensions internes, plusieurs députés indiquant qu’ils dévieront de la consigne fixée par Boris Vallaud. « Nous conciliions notre identité socialiste avec un devoir plus large », soutient Baumel auprès de 42mag.fr. « Il n’y a pas d’entourloupe possible: nous défendons notre droit de censure », ajoute l’élu d’Indre-et-Loire, tandis que les insoumis pensent que la promesse de suspension de la réforme des retraites ne trouvera pas d’écho législatif favorable.
Dans les couloirs, les discussions se poursuivent et les orateurs se succèdent à la tribune. La motion du RN n’a aucune chance d’être adoptée sans l’appui de la gauche. Celle de LFI demeure dépendante de l’appui d’un ou deux socialistes ou d’élus LR dissidents pour obtenir une majorité. Le président du groupe Droite républicaine a aussi demandé à ses 50 élus de ne pas censurer le gouvernement, malgré des dissensions internes. « Cela va se jouer à un cheveu », prédit un cadre insoumis croisé en fin de matinée. « Il n’y a pas vraiment de suspense », balaye un député RN. Peu après 11h30, lorsque la présidente de l’Assemblée annonce les résultats, on constate qu’il manque 18 voix pour renverser le gouvernement Lecornu II. Chez les socialistes, sept n’ont pas suivi la ligne de la direction, y compris plusieurs élus ultramarins. « Le budget n’est pas du tout acceptable », déclare Peio Dufau, député des Pyrénées-Atlantiques affilié au PS, sur ICI Pays basque.
Une « guerre des tranchées » attendue autour du budget
« On nous annonçait une fronde d’un tiers des députés », relève avec un certain soulagement le groupe socialiste. « Je suis heureux de faire en sorte que le débat budgétaire puisse se lancer », apprécie Olivier Faure, l’un des rares responsables socialistes à faire le commercial de la décision de non-censure. Du côté des Républicains, les dissidents se font encore plus rares: une députée vote en faveur des motions de LFI et du RN, et deux de ses collègues optent pour celle du RN, qui n’a obtenu que 144 voix au total.
Des résultats qui permettent à Sébastien Lecornu de quitter l’Assemblée vers midi, en marchant, son dossier sous le bras, avec un léger mieux dans le visage qu’à son entrée le matin. « Au travail », lance-t-il, en direction des caméras qui le poursuivent sur le chemin entre l’Assemblée et Matignon, avec un petit sourire. Dans le cœur de l’hémicycle, Erwan Balanant, député MoDem, salue les « prises de conscience » chez les socialistes et chez les trois députés écologistes qui n’ont pas censuré le gouvernement. « Je pense que les socialistes ont changé, qu’ils ont une conviction de responsabilité », salue le représentant du Finistère. Mais tous les députés s’attendent déjà à des échanges budgétaires particulièrement âpres dès lundi, lorsque la commission des finances entamera son travail. Le fait que les socialistes n’aient pas censuré a aussi ravivé les tensions avec La France insoumise, qui accuse le PS de « sauver Emmanuel Macron » dans un communiqué. « Ce vote n’apportera pas de stabilité mais prolongera l’instabilité, avec une guerre de tranchées sur le budget », lâche Julien Odoul, député de l’Yonne et porte‑parole du groupe RN, qui continue de réclamer une dissolution nouvelle — une perspective qui s’éloigne quelque peu ce jeudi matin.