Le candidat en place domine les pronostics, alors que l’opposition se retrouve privée de ses principaux porte-parole. L’intelligence artificielle, très présente durant la campagne, inquiète les autorités ivoiriennes, car cet outil est principalement utilisé pour diffuser de la désinformation.
En Côte d’Ivoire, environ neuf millions d’électeurs sont appelés à se rendre aux urnes samedi 25 octobre pour choisir leur président dans un contexte particulièrement tendu. Cinq candidats sont en lice, dont Alassane Ouattara, président sortant âgé de 83 ans, qui vise un quatrième mandat et se montre comme le favori face à une opposition privée de ses figures emblématiques.
Sur le terrain, les autorités redoutent l’ampleur de la désinformation, qui prend de l’ampleur ces dernières semaines dans le pays, notamment via les technologies d’intelligence artificielle.
Les réseaux sociaux sont saturés de contenus générés par l’IA dans le but d’influencer, de diviser et de manipuler les électeurs. À titre d’exemple, une chanson a été largement diffusée pendant la campagne. Le morceau, au style convaincant, s’inscrit dans le reggae, un genre apprécié des jeunes ivoiriens.
Chansons fabriquées de toutes pièces et faux témoignages vidéo
Les paroles sont sans équivoque: le candidat sortant est dépeint comme un criminel et un assassin. Une chanson circulait en masse sur les réseaux, accumulant des milliers de mentions « j’aime ». Cependant, tout le contenu – paroles, voix, mélodie et instruments – a été produit par des algorithmes.
Quiconque peut réaliser ce type de contenu, selon le vidéaste Wilfried Touré, qui affirme que « tout se fait avec deux applications ». L’une pour composer les paroles, l’autre pour générer la mélodie et la musique. En démonstration: « j’ai demandé à l’appli de créer une musique reggae à partir des paroles que j’ai fournies; la voix interprète les paroles sur la musique générée ». Après quelques clics, l’application a proposé plusieurs échantillons d’environ une minute chacun.
« On peut fabriquer une chanson en quelques minutes; c’est extrêmement simple. »
Wilfried Touré, vidéaste
Sur les réseaux, on retrouve ces chansons générées par IA, mais aussi des deep fakes – des vidéos truquées, d’un réalisme bluffant. L’une d’elles montre le président français Emmanuel Macron en train d’affirmer: « Si je démissionne aujourd’hui, je m’en moque. J’irai au Burkina ou en Côte d’Ivoire. » Des propos qu’il n’a jamais tenus.
Pour produire ce type de contenu, les techniques exigent un peu d’habileté, mais rien d’infranchissable. De nombreuses applications gratuites existent, et il faut suivre un mode d’emploi et surtout du temps, car ce travail peut être long et laborieux. Marina Kouakou, spécialiste de la lutte contre la désinformation, a repéré cette vidéo sur TikTok et souligne: « Quand on lit les commentaires, on constate que de nombreuses personnes y croient; ces informations risquent d’alimenter des mouvements populaires et d’altérer la paix. »
Un même objectif : discréditer les autorités électorales et le pouvoir en place
Une autre vidéo fallacieuse a fait beaucoup parler d’elle en Côte d’Ivoire: on y voit Ouattara ordonner le rejet des candidatures de ses principaux adversaires. Cette diffusion virale peut tromper les publics les plus vigilants, selon le journaliste Diedri Anderson: « Parfois, même les journalistes se trompent. Alors imaginez les citoyens lambda qui ne sont pas habitués à vérifier l’information. Et parfois, on va utiliser des outils pour compléter ce travail de vérification ».
« Aujourd’hui, les contenus générés par l’IA deviennent de plus en plus sophistiqués, souvent au niveau visuel, et il devient difficile de les distinguer à l’œil nu. »
Diedri Anderson, journaliste
Des outils existent pour déterminer ce qui est réel et ce qui a été artificiellement produit, mais tous ceux qui reçoivent ces vidéos et les partagent ne mesurent pas forcément qu’ils manipulent des contenus falsifiés. Linda, étudiante en médecine rencontrée dans un cybercafé à Abidjan, explique: « Pour le moment, on a du mal à discerner les fausses informations; les médias répètent que certaines vidéos seraient fausses, et cela me fait peur car cela peut engendrer des divisions sans que l’on s’en rende compte. »
L’opposition est également visée
Dans une autre diffusion virale, Tidjane Thiam apparaît en train d’effectuer quelques pas de danse, même si sa candidature a été invalidée. Autre figure de l’opposition attaquée par l’IA: l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, lui aussi écarté de la course. Une photo de lui a été détournée pour le montrer dans l’apparence d’une « femme frivole ». L’intéressé a réagi en affirmant que l’on avait altéré son image afin de le ternir et de discréditer certains rivaux politiques.
Par souci de maîtriser l’évolution de l’intelligence artificielle, la Côte d’Ivoire a présenté une stratégie d’ensemble sur plusieurs années. L’objectif initial est l’instauration d’un label « Safe IA », garantissant un cadre éthique et des contenus certifiés exempts d’interventions IA.







