À partir de mardi, les débats à l’Assemblée nationale s’annoncent particulièrement intenses, notamment sur la suspension envisagée de la réforme des retraites promise par le gouvernement. Cette décision est attendue avec une vigilance soutenue par la gauche et les syndicats, mais aussi par les premiers concernés, les futurs retraités.
À partir du mardi 4 novembre, les députés se penchent sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Parmi les points à l’ordre du jour figure notamment la suspension temporaire de la réforme des retraites, promise par Sébastien Lecornu.
Concrètement, ce gel implique que les Français nés en 1964 pourront quitter la vie active à 62 ans et 9 mois, au lieu des 63 ans prévus par la réforme Borne. Puis, pour chaque génération suivante, la possibilité de partir anticipée gagnera trois mois par rapport au calendrier initial.
Des bénéfices apparents
Cette décision aura des répercussions concrètes sur le quotidien des futurs retraités, qui restent sensibles à ce type d’annonce. Dans une maison proche de Rouen, Nathalie, 61 ans, feuillette un classeur récapitulant l’ensemble de sa carrière. La suspension de la réforme apparaît comme une opportunité pour elle, puisqu’elle vient de quitter son poste d’AESH, accompagnante d’élèves en situation de handicap. « On n’a pas du tout d’indemnités chômage lorsqu’on démissionne », affirme-t-elle. « Pouvoir toucher sa pension trois mois plus tôt me permettrait d’obtenir peut-être entre 5 000 et 6 000 euros supplémentaires, ce qui n’est pas négligeable. »
Ceux nés en 1964, à l’instar de Nathalie, ne sont pas les seuls à bénéficier de cette suspension. Quatre générations suivantes profiteront également de trois mois d’avance, comme Jean-Paul, un commercial âgé de 60 ans qui passe ses journées sur les routes. « Si je peux partir trois mois plus tôt, c’est une perspective qui me convient », s’enthousiasme-t-il. Il n’envisage toutefois pas de poursuivre ce rythme indéfiniment : « Même sans travail physique, mes déplacements à l’étranger ont fini par me peser. La pression des objectifs y contribue aussi. »
« Si je peux profiter de la retraite un peu plus tôt, en bonne forme physique, ça me convient. »
Jean-Paul, 60 ans, commercialà 42mag.fr
Au moment où il atteindra l’âge légal du départ, Jean-Paul n’aura pas nécessairement tous ses trimestres requis pour une pension à taux plein, mais cela ne le gênera pas. « L’écart restera probablement autour de 100 à 130 euros. Ce n’est pas énorme. Autant partir le plus tôt possible, dès que j’ai l’âge »,déclare-t-il.
Cependant, d’après une trentaine de retraités potentiels consultés, beaucoup s’interrogent sur l’intérêt réel de cette suspension, aussi bien pour leur situation personnelle que pour l’avenir du système de retraite dans son ensemble. Isabelle, résidant à Paris, ingénieure dans le secteur cosmétique, demeure dubitative face à ce décalage de trois mois : elle se demande ce que cela changerait vraiment pour sa carrière en fin de parcours. Elle verrait davantage d’avantages si la suspension permettait de gagner six mois, voire un an. En fin de compte, trois mois ne semblent pas suffire : à 63 ans, la différence avec 62 ans paraît mineure.
La fatigue, ressenti partagé
Isabelle serait disposée à rester plus longtemps en poste, mais pas au prix de n’importe quel sacrifice. Elle envisage donc une retraite progressive, afin de diminuer son volume horaire tout en continuant à cotiser. Concrètement, cela impliquerait de percevoir progressivement sa pension et de continuer à travailler à temps partiel. « Cette approche pourrait constituer une option vraiment intéressante comme alternative à l’allongement du travail, à condition que les conditions soient ajustées », précise-t-elle.
La fatigue gagne du terrain au fil des années, comme le confirment plusieurs retraités potentiels contactés. Cette usure est ce qui a conduit Nathalie, résidante de Rouen, à démissionner lorsqu’une opportunité s’est présentée dans une école maternelle accueillant des tout-petits. « J’ai expliqué que démarrer en maternelle à 62 ans serait trop éprouvant pour moi. Il y a des postures pénibles, des mouvements répétitifs, et le bruit est épuisant », raconte-t-elle.
« J’ai pris la décision d’arrêter, de démissionner, pour préserver ma santé. »
Nathalie, 61 ans, ex-AESHà 42mag.fr
Au-delà de cette suspension, Nathalie espère que les députés aborderont aussi la question de la pénibilité, même si elle demeure sceptique quant à des mesures concrètes.
Un flou persistant chez les employeurs
Les salariés ne constituent pas les seuls à suivre les débats à l’Assemblée : les employeurs doivent aussi préparer leurs réponses face à l’incertitude. Depuis l’annonce du moratoire sur la réforme, les questions affluent auprès des services RH : « Dois-je partir trois mois ou six mois plus tôt ? », « Suis-je concerné(e) si je bénéficie d’un parcours carrière longue ? » Voilà le type d’interrogations qui leur parviennent en priorité, selon Guillaume Allais, directeur général du cabinet Alixio, qui accompagne les grandes entreprises. « Les responsables RH et les directeurs financiers évaluent en ce moment les implications de la suspension si elle était mise en œuvre », explique-t-il. « On se demande combien de personnes seraient concernées, à quel moment les départs pourraient intervenir, et cela nécessite cinq à six mois de préparation pour que tout se passe correctement. »
Pour l’heure, aucun cadre précis n’est fixé. Pour clarifier les choses, il faut d’abord que le Parlement adopte le budget de la Sécurité sociale, puis que les décrets d’application soient publiés. Cela ne devrait pas être acté avant le début de l’année 2026, lorsque les premiers concernés par la suspension pourront partir à la retraite à partir de l’automne.







