Le vendredi 19 décembre, Raphaël Haddad, détenteur d’un doctorat en sciences de l’information et de la communication et fondateur de l’agence Mots-Clés, était présent comme invité lors du créneau 11h/13h sur 42mag.fr. Interrogé au sujet de la polémique relative à l’emploi d’un morceau de Théodora par Jordan Bardella, il expose une approche de communication politique qui s’appuie sur l’anticipation des clashes et sur la mobilisation de l’émotion comme moteurs de diffusion sur les réseaux sociaux, en particulier auprès des jeunes audiences.
Ce passage provient d’une partie de la retranscription de l’entretien présenté plus haut. Pour en voir l’intégralité, il faut regarder la vidéo.
Florence O’Kelly : Vous accompagnez des responsables politiques dans leurs stratégies de communication. À votre avis, est-ce une erreur de communication ou non ? Jordan Bardella est-il conscient de ce qu’il accomplit en utilisant la musique de l’artiste Théodora ?
Raphaël Haddad : Bien sûr, il en a pleinement conscience. Ce qui ne change pas dans ce dossier, c’est que le domaine culturel a toujours été un terrain de confrontation politique. On l’a constaté à l’époque avec Zaho de Sagazan, avec des exemples tels que IAM, Renault, Mylène Farmer, et même des cas venant des États‑Unis. Ce qui est inédit, en revanche, et ce que l’on observe en grande partie chez Donald Trump et qui commence à apparaître ici, c’est que le clash devient un véritable moteur narratif. Il est anticipé, parfois même recherché, parce que cela permet d’assurer la diffusion maximale d’une vidéo. À travers ce mécanisme, Jordan Bardella cherche à accroître sa notoriété et à gagner des abonnés, notamment sur TikTok.
Florence O’Kelly : Concrètement, comment tout cela se met-il en place ? Son équipe étudie-t-elle les morceaux qui fonctionnent, ceux qui provoquent des réactions, les positions politiques des artistes, afin de se dire : « C’est cette chanson qui va faire le buzz » ?
Raphaël Haddad : Quoi qu’il en soit, on peut penser qu’il y a l’espoir, au moment où ce choix est pris, que cela suscite une polémique. Les jeunes ne constituent pas un public culturellement neutre : ils savent très bien distinguer un artiste des personnalités politiques qui s’approprient ses paroles ou ses titres. L’objectif, à ce moment précis, est clairement de provoquer une réaction.
Raphaël Haddad : Peut‑on aller jusqu’à dire que la chanteuse Théodora, en exprimant – et elle en a parfaitement le droit – ses positions politiques et son désaccord, tombe dans le piège communicationnel tendu par Bardella ?
Raphaël Haddad : Elle y entre, mais elle s’en sert aussi. En définitive, c’est un jeu dans lequel, d’une certaine manière, deux gagnants émergent. D’un côté Théodora, dont on parle aujourd’hui et qui gagne en visibilité. De l’autre, Bardella, qui a réussi à diffuser cette vidéo bien au-delà de ce qu’il et son équipe avaient espéré.
Raphaël Haddad : C’est une logique typiquement américaine : il n’y a pas de mauvaise publicité tant que l’on parle de moi.
Raphaël Haddad : Oui, mais dans une version légèrement différente. Cette idée n’est pas nouvelle : on peut diffuser une information, la contredire ou en publier une autre. En revanche, ce qui est réellement nouveau, c’est que le clash est désormais anticipé comme un levier central. On sait qu’il va déclencher des discussions, des réactions et accroître la visibilité. Par ailleurs, cela permet à Bardella, à l’instar de Donald Trump, d’affirmer qu’aucun territoire culturel ne lui est interdit. Trump l’a fait avec Beyoncé ou Céline Dion ; Bardella tente d’appliquer ce même principe à travers le morceau de Théodora.
Marianne Théoleyre : On véhicule avant tout une émotion, qu’elle soit positive ou négative. Est-ce que l’émotion est devenue aujourd’hui le rythme dominant de la communication politique sur les réseaux sociaux ?
Marianne Théoleyre : Quand vous dites « moins programmatique », est‑ce à dire que les discours n’ont plus vraiment d’importance, ou du moins qu’ils ne sont plus mis en avant sur les réseaux ?
Marianne Théoleyre : Oui, cela signifie qu’ils ne cherchent plus prioritairement à convaincre, mais à faire éprouver, ressentir et partager. L’émotion prend le pas sur l’argumentation rationnelle. Cette logique est fortement renforcée par les réseaux sociaux, en particulier les plateformes les plus récentes comme TikTok. C’est une donnée essentielle de la communication politique contemporaine.
Marianne Théoleyre : Mais faire passer un message politique reste-t-il important, ou est‑ce devenu accessoire derrière l’apparence physique ? On apprend par exemple que Gabriel Attal aurait commencé la musculation, selon l’un de ses conseiller, pour paraître plus solide. En fin de compte, est‑ce que l’image compte davantage que le fond pour les jeunes générations ?
Marianne Théoleyre : La communication, le choix des réseaux et les formats s’inscrivent dans une stratégie globale. Si l’objectif est de capter les voix des jeunes, on privilégie des formats très incarnés, comme TikTok, qui mettent en valeur la personnalité et le corps.
Marianne Théoleyre : Mais transmet-on encore un message politique clair derrière tout cela ? C’est là ma question.
Marianne Théoleyre : Oui, cela dépend des acteurs. Certains responsables politiques continuent à diffuser des messages structurés. Par exemple, à gauche, on observe l’utilisation de réseaux parfois plus traditionnels pour mobiliser, organiser des campagnes ou structurer des communautés militantes.
Marianne Théoleyre : Il existe aussi une volonté de désintermédiation : faire passer un message directement, sans passer par les médias traditionnels. On ne peut donc pas réduire les réseaux sociaux à une simple communication émotionnelle, même si celle‑ci occupe une place centrale. Ce qui est certain, c’est que leur usage demeure lié à des stratégies bien définies et aux électorats que chaque personnalité cherche à toucher.
Marianne Théoleyre : Qui s’en sort le mieux aujourd’hui sur les réseaux sociaux ?
Marianne Théoleyre : Tout dépend du critère retenu. En termes de capacité de mobilisation, La France insoumise et Jean‑Luc Mélenchon se distinguent nettement : leurs communautés sont prêtes à agir, à relayer et à amplifier les messages, d’une manière sans équivalent en France. En revanche, si l’on considère la capacité de personnalisation, ce sont souvent les acteurs qui ne détiennent pas le pouvoir et qui ne représentent pas d’institutions qui obtiennent les meilleurs résultats, grâce à des récits très personnels.







