Les activités de l’Institut français, installé à Paris, et celles du réseau culturel à l’étranger ne se déploient pas toujours de manière visible sur l’ensemble du territoire national. En revanche, leur répercussion se fait sentir chez les artistes et dans le quotidien du grand public, notamment à travers des saisons culturelles croisées. Entretien avec Eva Nguyen Binh.
Basé à Paris, l’Institut français a pour tâche de coordonner les programmes et d’accompagner l’action des Instituts français à l’étranger. Sa mission consiste à offrir une large palette d’outils pour diffuser la culture française à l’international tout en tissant des liens interculturels entre la France et ses partenaires. En 2024, 1 900 artistes et professionnels français ont bénéficié d’un soutien de l’Institut français, en dehors des dispositifs de résidence et de mobilité. Fin d’année, l’établissement public a inauguré une saison culturelle dédiée à l’Ukraine.
Franceinfo Culture : À quoi sert l’Institut français ?
Eva Nguyen Binh : Plus largement, à quoi servent les Instituts français dans le monde ? Ils sont environ une centaine et constituent une part essentielle du réseau de présence française à l’étranger. Dans de nombreux pays et villes, l’Institut français représente le premier point de contact concret avec la France et sa culture, notamment à travers des cours de langue, car ces instituts sont des pôles culturels, dotés de médiathèques, de spectacles, d’expositions… Les Instituts français constituent des vitrines de la France et des plateformes destinées à mettre en relation des professionnels français et étrangers, car c’est là que se produisent les échanges. La culture est au cœur des relations que la France développe avec ses partenaires. On parle volontiers de diplomatie culturelle : les Instituts français en sont les porte-étendards. Ils soutiennent aussi la visibilité des artistes français à l’étranger ou d’artistes étrangers basés en France. Les artistes, véritables créateurs, mais aussi les structures culturelles et les penseurs, jouent un rôle clé… Ce dispositif est d’ailleurs envié par beaucoup d’autres pays car il représente l’un des plus vastes réseaux culturels au monde.
Quelle est la différence entre les Instituts français à l’étranger et l’Institut français à Paris que vous présidez ?
Le réseau des Instituts français à l’échelle mondiale dépend du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. En revanche, l’Institut français à Paris relève à la fois de ce même ministère et du ministère de la Culture. Nous collaborons avec l’ensemble des maillons du réseau – Instituts français, services de coopération et d’action culturelle, et Alliances françaises – afin d’appuyer leurs actions respectives. L’Institut français, opérateur de la diplomatie culturelle, est l’outil privilégié du gouvernement pour dynamiser et accompagner ce réseau, et, ce faisant, pour valoriser la culture et la langue française à l’étranger ainsi que les échanges interculturels entre la France et les pays partenaires. C’est dans l’ADN même de la France d’intégrer la culture dans ses relations internationales.
Nous intervenons dans le domaine de la création contemporaine : littérature, théâtre, musique, réalité virtuelle et immersive, métiers d’art, arts visuels, design, architecture… Nous disposons d’experts dans ces domaines et de spécialistes de l’ingénierie culturelle. Lorsque le président de la République décide d’organiser une saison croisée avec un pays – le concept de saisons, né en 1985 grâce à l’Institut français – c’est l’Institut français qui assure la mise en œuvre. Par ailleurs, nous coordonnons le réseau des résidences et villas d’artistes à l’étranger, soit une cinquantaine de structures, à l’exception notable de la Villa Médicis (Italie), gérée par le ministère de la Culture, et de la Casa de Velázquez (Espagne), placée sous celui de l’Enseignement supérieur. Nous ne gérons pas les compétences muséales ou patrimoniales. Néanmoins, nous travaillons en collaboration avec certains opérateurs, comme le CNC ou le CNM, qui souhaitent accroître leur présence à l’international. L’Institut français à Paris collabore également avec l’ensemble du territoire national. Nous soutenons des projets émanant de 94 départements. Notre objectif est d’être au plus proche des territoires, tant à l’international qu’en France. Cela prend tout son sens à une époque où les citoyens s’interrogent sur l’affectation de leurs impôts.
Quel est votre budget ?
Le budget de l’Institut français à Paris est de 45 millions d’euros, et celui du réseau des Instituts français dans le monde s’élève à 150 millions d’euros. Les Instituts français accomplissent une tâche remarquable en matière d’image et de promotion de la culture et de la langue française. Il n’est pas toujours aisé pour le grand public de percevoir l’étendue de leur action, car ils opèrent à l’échelle internationale. Toutefois, ce budget reste modeste par rapport à l’envergure du réseau, qui est présent dans presque tous les pays. De plus, cet ensemble bénéficie d’un effet de levier important : les Instituts français gagnent des fonds grâce aux cours de français, au mécénat et aux partenariats, et leur taux d’autofinancement est estimé autour de 70 %. Il faut également noter que les budgets ont connu une baisse. À l’Institut français à Paris, nous faisons des efforts conséquents sur les frais de fonctionnement et sur la masse salariale afin de préserver nos programmes dans un cadre budgétaire contraint. Face à ce contexte de déficit, une exigence de responsabilité s’impose à toutes les parties prenantes.
Que rapporte à la France cette diplomatie culturelle, unique en son genre ?
D’abord, elle constitue une contribution inestimable à la place de la France sur la scène mondiale, en termes de culture, d’acteurs culturels et de langue. Ensuite, elle exerce une influence marquée sur l’internationalisation des professionnels et des structures culturelles. On ne peut aujourd’hui faire rayonner durablement un artiste ou une entreprise culturelle sans viser l’export et without des réseaux préalables. Les Instituts français jouent le rôle de premier contact, d’ouverture de porte et de facilitateur pour les acteurs culturels. En matière diplomatique, ils instaurent une relation culturelle qui peut soit enrichir et renforcer les liens diplomatiques, soit constituer le seul canal de dialogue avec certains pays où les questions économiques, politiques ou relatives aux droits humains sont complexes. La culture permet de maintenir le contact et d’assurer des échanges lorsque d’autres canaux se révèlent difficiles.
C’est le cas au Mali et au Burkina Faso, où les relations politiques avec la France restent parfois tendues, mais où l’on trouve encore des Instituts français…
Il persiste des Instituts français qui entretiennent des liens avec les populations locales, car il faut aussi garder à l’esprit qu’aucun pays ne se résume à une unité homogène. Préserver l’avenir et construire des partenariats durables sur le long terme demeure essentiel.
Vous assurez d’une certaine manière la pérennité des relations entre la France et le reste du monde…
Nous y contribuons, car nous ne sommes pas les seuls à le faire. Dans une période où la rapidité d’intervention est demandée, nous ne pourrions pas opérer efficacement sans cette profondeur temporelle. Ce temps long est crucial puisqu’il permet d’ajuster les actions au fil des crises et des péripéties politiques qui surviennent.
Quels sont les programmes phares qui illustrent l’action de l’Institut français ? Les saisons culturelles croisées et les Débats d’idées, connus aussi sous plusieurs formats, constituent des vecteurs importants : « La Nuit des idées » reste sans doute la manifestation la plus emblématique, suivie par les forums « Notre futur » sur l’Afrique et les Dialogues européens. Sur ces plateaux, un chirurgien peut échanger avec un roboticien, un artiste plasticien ou un représentant de la Commission européenne. L’Institut français assure la coordination et l’accompagnement des résidences d’artistes, avec notamment une résidence très renommée, Villa Kujoyama au Japon, que nous gérons en collaboration. Nous menons des missions d’exploration des marchés pour les industries culturelles et créatives françaises dans le cadre du programme ICC Immersion. Les programmes « Focus », moins connus du grand public, invitent des programmateurs et directeurs d’institutions culturelles étrangères à découvrir la scène française, afin de la reprogrammer à l’étranger ou de favoriser l’achat de droits.
Nous développons également des initiatives liées au livre : aide à la publication pour soutenir l’édition française à l’international et soutiens aux choix Goncourt internationaux. S’ajoutent les biennales de Venise, pour lesquelles nous assurons l’opération du pavillon français. Par ailleurs, nous accompagnons la structuration des industries culturelles et créatives locales, notamment en Afrique sous l’étiquette « Création Africa ». Et bien sûr La Fabrique cinéma, dont l’apogée se joue au Festival de Cannes.
Votre action cible les artistes. Comment entrent-ils en contact avec vous ?
Nous publions des appels à projets. Les lauréats se répartissent équitablement entre des candidats qui présentent leur dossier pour la première fois et ceux que nous avons déjà accompagnés par le passé. Pour maximiser leurs chances d’être retenus, il faut comprendre le fonctionnement de l’Institut français à Paris et celui des Instituts à l’étranger. C’est pourquoi je conseille systématiquement de prendre rendez-vous pour établir un premier contact. Par ailleurs, il est judicieux d’imaginer l’exportation d’un programme dès sa conception. C’est particulièrement précieux pour les jeunes artistes qui envisagent dès le départ une expérience à l’étranger. Des résidences d’artistes offrent une période d’accompagnement pour préparer le contact avec un territoire et mener des recherches liées à un projet en lien avec ce territoire. Le secteur culturel étant plutôt informé de notre présence, il existe encore des personnes qui ne savent pas exactement comment s’y prendre, et c’est pourquoi il faut les mieux orienter. En France, nous entretenons des conventions de coopération avec une vingtaine de régions, ce qui nous permet d’être au plus près des acteurs des territoires.
La saison consacrée à l’Ukraine, intitulée « Le Voyage en Ukraine », se distingue comme une opération particulière… Je pense que nous n’avons jamais animé une saison avec un pays en guerre. Ce n’est pas une saison « croisée » au sens traditionnel, puisqu’elle n’implique pas une mise en scène réciproque de la France en Ukraine. Il s’agit d’une demande des Ukrainiens, répondant au besoin de s’ancrer dans l’Ouest et de faire connaître davantage leur pays. Lorsque le conflit a éclaté, de nombreux théâtres, artistes et compagnies nous ont sollicités pour des initiatives de solidarité mais manquaient de contacts préexistants. Nous avons joué un rôle catalyseur pour établir des connexions. Au sein de notre équipe, un spécialiste de l’Ukraine accompagne ce projet. Les Ukrainiens souhaitaient que ce temps fort mette en lumière l’importance de la culture pour la survie de leur identité, car la culture incarne la langue et ce que les Ukrainiens sont fondamentalement.







