Le jeudi 18 décembre, Bernard Bousset, qui demeure le dernier Français condamné pour son orientation homosexuelle, était l’invité de l’émission 11h/13h sur 42mag.fr. Alors que le Parlement s’apprête à se pencher à nouveau sur l’indemnisation des victimes des lois pénalisant l’homosexualité, il revient sur les répercussions de ces condamnations et sur l’importance d’apporter une reconnaissance, tant symbolique que financière, aux personnes dont la vie a été marquée par ces textes.
Ce passage s’inscrit dans une portion de la transcription de l’entretien évoqué plus haut. Pour le visionner dans son intégralité, cliquez sur la vidéo.
Florence O’Kelly : Nous venons juste de montrer les images de la manifestation organisée peu avant l’adoption de la loi emblématique de 1982. Aujourd’hui, la question est de nouveau portée au Parlement : faut-il octroyer une indemnisation aux homosexuels qui ont été condamnés ? Pour le moment, le Sénat refuse et l’Assemblée nationale dit oui. Pourquoi ce dossier reste-t-il aussi délicat, près de quarante ans après ?
Bernard Bousset : Cela fait quatre années que ce sujet est à l’ordre du jour. Le Sénat et l’Assemblée ne parviennent pas à s’entendre, notamment sur la réhabilitation ou sur l’indemnisation. Pour ma part, j’ai 84 ans et j’ai été condamné il y a six décennies. Ce retard me semble insoutenable. Combien d’avenirs devront encore s’écouler avant que cette loi voie le jour ?
Vous n’y croyez pas vraiment, malgré l’apparente imminence du vote à l’Assemblée ?
Je n’y crois plus guère. Ils tardent trop. Combien d’entre nous seront encore vivants pour profiter de cette indemnisation ? Ils risquent d’attendre jusqu’à ce qu’il ne reste plus personne.
Savez-vous combien de condamnés pour homosexualité sont encore vivants aujourd’hui ?
Dans les années 60 et 70, on estimait à environ 10 000 le nombre de personnes visées. Désormais, en raison du sida et des autres conséquences, les survivants se font plus rares. Ariane Chemin, qui avait mené une enquête pour Le Monde il y a trois ans, a eu énormément de mal à réunir des témoins : elle n’en a trouvé que trois. Elle envisageait même d’abandonner, faute d’archives. Quant à moi, elle a réussi à me joindre grâce à un ami journaliste. C’est ainsi que je me retrouve aujourd’hui dans les médias pour évoquer tous ceux qui ont disparu.
Malgré le refus du Sénat sur l’indemnisation, il a reconnu la responsabilité de l’État et que ces lois constituaient une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Que diriez-vous à un sénateur ? Pourquoi une indemnisation est-elle importante, au-delà même de la valeur symbolique ?
C’est essentiel pour toutes celles et ceux dont l’existence a été brisée par ces lois. Nombre d’entre eux se sont suicidés, d’autres ont été privés de liberté, et certains ont choisi de se marier pour faire profil bas. Nous avons vécu une vie marquée par la honte à cause de ces condamnations. Pour moi, toute ma vie a été marquée par cette honte. Je ne me suis jamais senti à ma place dans un milieu hétérosexuel, où je pensais sans cesse être jugé. À l’époque, l’homosexualité était non seulement répréhensible, mais aussi, selon l’OMS, considérée comme un fléau, au même titre que la prostitution ou l’alcoolisme. Les homosexuels devaient être « soignés ».
Craignez-vous que la mémoire de ce que vous et d’autres avez vécu s’estompe progressivement en France, et que l’on oublie le traitement réservé aux homosexuels jusqu’en 1982 et au-delà ?
C’est certain. Et même aujourd’hui, on observe une certaine régression : les agressions homophobes n’ont jamais été aussi nombreuses. Il reste crucial de rappeler notre passé, de constater les progrès accomplis, tout en reconnaissant que les mentalités n’ont pas évolué au même rythme.
Même après l’adoption du mariage pour tous ?
Il faut sortir de Paris pour comprendre que les mentalités ne changent pas vraiment partout. Les gens répriment leurs réactions, mais les actes d’hostilité envers les personnes LGBT demeurent encore fréquents. Il est indispensable de préserver la mémoire.
Les jeunes connaissent-ils cette loi qui réprimait l’homosexualité jusqu’en 1982 ? Sont-ils surpris lorsque vous en parlez ?
Les jeunes sont très étonnés. Lorsqu’ils apprennent que j’ai été condamné à Bonneville parce que j’étais homosexuel, ils me demandent : « Pourquoi cela ? Qu’est-ce que cela signifie ? » Je leur explique que c’était une forme de discrimination entre hétérosexuels et homosexuels. Par exemple, l’âge de la majorité sexuelle était fixé à 18 ans pour les hétérosexuels et à 21 ans pour les homosexuels. J’avais 23 ans et j’ai été condamné pour avoir rencontré un garçon de 19 ans.
Comment vous sentirez-vous si cette loi était finalement adoptée de votre vivant ?
Ce serait une valeur symbolique forte, mais je n’attends plus rien. Ma vie a été marquée par cette condamnation et ce restera une part de moi qui ne s’effacera jamais.
Pourtant votre vie n’a-t-elle pas été belle malgré tout ?
Bien sûr que si. Mais une condamnation demeure un spectre qui ne nous quitte jamais entièrement. C’est gravé à jamais.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l’interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder dans son intégralité.







