Pour bon nombre d’experts, la réussite de ces ouvrages serait le signe d’un affinage politique de la société française vers la droite. D’autres, eux, estiment plutôt que ce phénomène résulte de campagnes de communication d’envergure, destinées à des livres qui créent le buzz mais retombent rapidement dans l’oubli.
Il est possible que, lors des fêtes, vous ayez trouvé sous le sapin un ouvrage au contenu politique. Dans ce domaine, les personnalités classées à droite et à l’extrême droite tirent particulièrement leur épingle du jeu. Ainsi, Nicolas Sarkozy a vendu plus de 92 000 exemplaires de Journal d’un prisonnier (Fayard), selon le classement Edistat établi au 14 décembre, soit quelques jours seulement après la sortie de l’ouvrage. Paru en novembre 2024, le premier livre de Jordan Bardella, Ce que je cherche, s’est écoulé à plus de 230 000 exemplaires, d’après Fayard, son éditeur. Le second opus du même auteur pouvait se vanter d’environ 75 000 lecteurs au 9 décembre, selon une publication du dirigeant du Rassemblement National sur X, moins d’un mois et demi après sa publication. De son côté, l’ancien candidat à l’élection présidentielle Philippe de Villiers continue d’écouler les exemplaires de Populicide, suite de Mémoricide (les deux ouvrages publiés chez Fayard), atteignant les 230 000 copies vendues. Plus largement, en tête du palmarès des ventes en politique française sur le site de la Fnac consulté le 23 décembre, sept auteurs se tiennent dans les catégories droite et extrême droite. Du côté des librairies indépendantes, les chiffres restent élevés pendant cette période de fêtes. « On est pris malgré tout dans cette tempête médiatique », souffle Alexandra Charroin Spangenberg, présidente du Syndicat de la librairie française.
Saisir l’actualité pour booster les ventes
Les figures de gauche, qu’elles soient élues ou non, semblent rencontrer davantage de difficultés pour s’imposer sur le marché. « La seule qui se vend vraiment, c’est Salomé Saqué [journaliste du média Blast engagée contre l’extrême droite], mais son livre est affiché autour de 5 euros », constate une éditrice qui préfère rester anonyme, alors que Bardella ou Sarkozy restent tarifés autour d’une vingtaine d’euros. « On ne voit personne capable de rivaliser avec ces personnalités », poursuit-elle, citant Marine Tondelier [secrétaire nationale des Ecologistes], qui n’a écoulé que 4 000 exemplaires. « C’est sans doute conjoncturel, parce que Jean-Luc Mélenchon obtient lui aussi de bons scores », tempère Christian Le Bart, politologue et coauteur des Livres des politiques. Le livre le plus récent du chef de file de LFI, Faites mieux ! Vers la révolution citoyenne (Robert Laffont, 2023), s’est vendu à un peu plus de 17 000 exemplaires (hors réédition). À gauche, d’autres titres d’économistes tels que Thomas Piketty et Gabriel Zucman tirent également bien leur épingle du jeu. Ce dernier s’est fendu d’un message sur LinkedIn le 19 novembre, se réjouissant d’avoir franchi les 25 000 exemplaires achetés, trois semaines après la parution de Les Milliardaires ne paient pas d’impôt sur le revenu et nous allons y mettre fin (Seuil).
Comment expliquer ces fortes ventes liées à des figures politiques de droite et d’extrême droite ? Certains avancent que l’actualité elle-même joue en leur faveur. Pour Bardella, la perspective de le voir succéder à Marine Le Pen comme candidat RN à la présidentielle de 2027 peut nourrir l’intérêt. Le bref épisode carcéral de Sarkozy a, lui aussi, été extrêmement médiatisé. « Il possède un fan-club, mais cela va plus loin : il y a chez certains le choc d’apprendre qu’il a été incarcéré », affirme Muriel Beyer, ancienne éditrice de Sarkozy chez Plon. Elle rappelle toutefois qu’au fil des années, il a « toujours connu de grosses ventes ».
Des livres qui marchent mais « qui ne durent pas »
« Ces ouvrages reflètent plutôt un tempo journalistique que littéraire », analyse Christian Le Bart. « La caricature numérique, c’est le livre de Sarkozy : entre ce qui est vécu, ce qui est écrit et ce qui est publié, tout se joue en quelques semaines. Ils créent le buzz puis disparaissent rapidement. Ce n’est pas un hasard si Bardella a publié deux titres à quelques mois d’intervalle », poursuit-il. « Ce sont des livres de consommation rapide, souvent écrits par d’autres, qui s’évanouissent au bout de six mois », renchérit François Annycke, coprésident de la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill).
« Ce sont des épiphénomènes qui servent avant tout le destin politique », rappelle François Annycke dans une intervention recueillie par Franceinfo.
Un autre trait commun entre ces succès éditoriaux : Fayard. Cette maison, qui a décliné les demandes de Franceinfo, appartient à Vincent Bolloré, homme d’affaires ultraconservateur qui détient aussi les médias CNews, Europe 1 et Le Journal du dimanche, et qui, via le groupe Lagardère, contrôle près de 450 relais dans les gares, les métros et les aéroports. « Autour de Bolloré, il existe ce que l’on peut appeler un matraquage médiatique d’une brutalité remarquable », jugent Christian Le Bart. Pour sa part, Lagardère refuse de communiquer les chiffres de ventes des livres dans les magasins Relay, invoquant des raisons de confidentialité vis-à-vis des éditeurs.
L’effet loupe des dédicaces avec le grand public
Les nouveautés bénéficient aussi d’un coup de projecteur marketing important, avec les habituelles vagues médiatiques, la publication de passages choisis, des entretiens dans les magazines, mais aussi des séances de dédicaces souvent relayées sur les réseaux sociaux des auteurs. « La mise en scène d’un succès appelle le succès. La communication se nourrit d’elle-même », observe Muriel Beyer. Une collègue partage ce point de vue : « Les dédicaces peuvent nourrir les ventes, avec un petit effet de groupes de fans ».
« Les médias qui ne font pas partie de l’univers Bolloré restent quelque peu captifs de ce phénomène. Lorsque des files d’attente se forment, ils en parlent », remarque Christian Le Bart à propos de la capacité des responsables politiques à mobiliser l’actualité grâce à leurs lecteurs. « On n’a pas ces files d’attente quand il s’agit de Marc Levy », contredit Alexandra Charroin Spangenberg.
Autre raison avancée : ces ouvrages répondent à des attentes réelles de la population. « Ils se vendent parce que la France penche à droite », affirme Muriel Beyer. « D’un côté, on peut penser que les époques idéologiques tirent vers la droite et le populisme, de l’autre, on constate une crise de la gauche dans les résultats électoraux », développe Christian Le Bart, idée que d’autres chercheurs remettent toutefois en cause. « Les librairies servent de caisse de résonance des problématiques sociétales, où une droitisation se manifeste concrètement », soutient Alexandra Charroin Spangenberg.
La difficile transformation du lecteur en électeur
Pourtant, « si les ventes explosent, qu’en est-il du nombre réel de lecteurs ? Acheter un livre ne signe pas l’acte de lire », observe François Annycke. « Le volume des ventes peut agir comme un baromètre de l’opinion publique, un peu comme des sondages, mais cela ne garantit pas un vote une fois le livre lu », complète Luce Perrot, fondatrice de l’association Lire la société, qui décerne chaque année un Prix du livre politique. À titre d’exemple, malgré le succès retentissant de La France pour la vie en 2016, Nicolas Sarkozy n’a pas passé le premier tour de la primaire de la droite cette année-là.
« Deux cent mille personnes, rapportées à la population totale, ne représentent pas grand-chose. Il existe un risque d’illusion », rappelle Muriel Beyer. Cependant, un livre peut tout de même servir de « test » pour les responsables politiques.
Avec l’échéance de l’élection suprême de 2027, peut-on anticiper une accélération des parutions et une flambée des chiffres de vente ? « Dans l’édition, les années électorales ne sont pas bénéfiques pour les librairies, et les présidentielles le sont encore moins », réplique l’éditrice qui préfère rester anonyme. « Cela crée un climat anxiogène et les gens sont saturés d’informations. »







