Maryvonne et Yohanna déplorent l’influence dominante que l’ancien chef d’État exerce sur les prises de parole publiques pendant le procès relatif au financement libyen de la campagne présidentielle.
Dans l’émission « Les Pieds sur Terre » diffusée ce lundi 22 décembre sur France Culture, deux parties civiles dans le dossier du financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy dénoncent ce qu’elles qualifient d’« extrême violence » dans la couverture médiatique entourant l’ancien président après sa condamnation.
Maryvonne Raveneau, 79 ans, et Yohanna Brette, 37 ans, ont perdu respectivement leur époux et leur mère lors de l’attentat perpétré contre le vol DC-10 en 1989, qui a fait 170 morts. Cet acte avait été organisé par six ressortissants proches du régime libyen de Mouammar Kadhafi, selon l’estimation faite en 1999 par la cour d’assises spéciale de Paris. Les deux femmes expriment leur colère face à la place dominante occupée par l’ancien chef de l’État dans l’espace médiatique après le verdict, et face au sentiment d’effacement des victimes.
Maryvonne Raveneau a perdu Georges, son mari, décrit comme un « pilote expérimenté », commandant de bord du DC-10. Dès les premiers jours de l’affaire, elle s’indigne du traitement politique et médiatique réservé à l’attentat, dont le principal instigateur était Abdallah Senoussi, beau-frère de Mouammar Kadhafi.
La visite de Kadhafi à Paris en 2007, à l’époque de la présidence Sarkozy, est ressentie comme une « claque ». « On vous ferme la Seine, on vous privatise le Louvre, 170 personnes, est-ce que cela compte vraiment ? » s’interroge-t-elle. « Je ne sais pas, à ce moment-là, ce qui me fait le plus mal : l’absence de Georges ou la façon dont on traite cette absence. »
C’est comme si Georges mourait une deuxième fois, mais assassiné par son pays
Maryvonne Raveneau, veuve de Georges, commandant de bord du vol DC-10à France Culture
À partir de 2011, Mediapart publie les premières révélations sur un éventuel financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. « J’ai été en colère de constater que mon pays, que des politiciens en qui j’avais confiance avaient été derrière notre dos pour dialoguer avec Senoussi, avec l’un des terroristes ! C’est comme si les responsables politiques s’étaient entretenus avec Salah Abdeslam, dix ans après », affirme-t-elle.
Au cours du procès, elle se constitue partie civile. Un moment « difficile, mais qui m’a fait du bien, car j’ai été écoutée ». Elle explique avoir voulu « défendre la mémoire de Georges », car « mon pays ne le fait pas, mon pays s’en fiche ».
« Quand j’ai appris que Nicolas Sarkozy publiait un livre sur ses quelques jours passés en prison, j’ai été abasourdie. C’est un manque de respect », s’emporte-t-elle. « À défaut de trouver la vérité sur les causes de l’attentat, la France nous doit le respect. Avant, j’avais du chagrin. Aujourd’hui, c’est différent. Je n’ai pas de haine, mais je suis emplie d’une colère que je n’avais pas auparavant. »
Yohanna Brette, 37 ans, a perdu sa mère, hôtesse de l’air tuée dans l’attentat du DC-10. Elle n’avait que deux ans et est devenue pupille de la Nation. Elle affirme avoir ressenti « un profond sentiment de justice » à l’issue du procès, où il a été établi factuellement qu’ils entretenaient des liens avec le terroriste responsable de l’attaque, selon elle.
Nicolas Sarkozy alimente tout seul la machine et nous, on subit
Yohanna Brette, fille d’une hôtesse de l’air décédée dans l’attentat contre le DC-10à France Culture
Elle déplore toutefois le « rouleau compresseur » de la couverture médiatique qui a suivi la condamnation de Sarkozy. Les « jours et les semaines » qui ont suivi le verdict ont été « d’une extrême violence ». Elle fustige les « mensonges et contrevérités » émanant de personnes qu’elle n’avait « jamais croisées en salle d’audience ». « Ça a été terrible. J’ai serré les dents si fort que j’en me suis cassé une. Je dois ma première couronne à Monsieur Sarkozy et à ses camarades », ironise-t-elle.
Elle critique aussi la mise en scène médiatique autour de l’ancien président : « l’entrée à la prison de la Santé, la sortie, puis la publication de ce livre… » Elle affirme partager avec d’autres familles le sentiment d’avoir été reléguées au second plan de l’Histoire. « Le drame du DC-10 reste pourtant le plus gros attentat jamais perpétré contre la France. Et pourtant, il a été oublié. Sa mémoire a été maltraitée. »
Le 25 septembre, Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans de prison ferme, avec mandat de dépôt et peine d’exécution provisoire, pour association de malfaiteurs dans l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle. Le tribunal correctionnel de Paris l’a reconnu coupable d’avoir sciemment laissé ses proches collaborateurs solliciter des fonds en Libye au profit de sa campagne victorieuse de 2007. Il a fait appel de cette décision et sera rejugé du 16 au 3 juin prochains.







