Titulaire d’un doctorat en sociologie et ayant participé à la création du mouvement maoïste en 1968, Robert Linhart partage son vécu en tant qu' »établi », ce qui signifie qu’il a lui-même expérimenté la vie d’un travailleur d’usine.
« J’ai vécu Mai 68 comme une crise de folie », confie Robert Linhart, auteur de L’Etabli (Editions de Minuit). Ce jeune intellectuel parisien s’engage en septembre dans le mouvement des « Etablis », où des jeunes bourgeois comme lui font l’expérience de la vie ouvrière en usine afin de s’imprégner de leur quotidien et de lutter de l’intérieur contre les pressions patronales. C’est l’histoire de L’Etabli qui sort le 5 avril sur les écrans, à voir sur une chaîne.
Le mépris
En septembre 1968, Robert, un enseignant maoïste, est embauché chez Citroën en tant qu’ouvrier spécialisé (OS), le niveau de qualification le plus bas dans les usines. Après une période d’adaptation difficile, il apprend que l’usine a décidé de faire travailler les ouvriers trois heures par semaine sans salaire pour rembourser les accords de Grenelle (paiement des heures de grève de mai). Il devient alors l’instigateur d’un mouvement social, tandis que ses collègues ne veulent plus entendre parler de politique après l’échec de Mai 68.
Publié en 1978, dix ans après les événements de mai 68, L’Etabli reste un des témoignages majeurs sur la situation ouvrière en France pendant les Trente Glorieuses. On y découvrait les pressions patronales sur les classes laborieuses, dirigées par des technocrates méprisants, voire racistes, sous une domination patriarcale, alors que le pays sortait à peine de la plus grande crise sociale depuis le Front populaire. Un témoignage historique que Mathias Gokalp adapte avec succès après la pièce de théâtre de Marie-Laure Boggio et Olivier Mellor en 2018.
Cadences infernales
Un casting de qualité est à l’œuvre : Swann Arlaud incarne avec conviction l’alter ego de Robert Linhart ; Mélanie Thierry joue l’épouse compréhensive mais frustrée ; Denis Podalydès est le patron, plus attendu mais toujours remarquable, et Olivier Gourmet incarne un syndicaliste cégétiste un peu dépassé, fataliste, qui se réveille sur le tard. Mathias Gokalp filme le travail à la chaîne en capturant les souffrances et le stress engendrés par les « cadences infernales ». Des pressions violentes et humiliantes sont exercées lorsque les cadres détruisent le travail effectué pour manque de rapidité, sous de faux prétextes.
Les films politiques connaissent actuellement un renouveau avec des œuvres telles que Goliath ou Les Promesses. Le cinéma social a parfois trouvé refuge dans les films policiers (tels que Bac Nord, La Syndicaliste) et les questions sociétales (tels que Last Dance, Grâce à Dieu). L’Etabli revient à un genre plus classique, dans la tradition des années 70. Néanmoins, il est très puissant quant à son message fidèle au roman autobiographique de Robert Linhart. L’actualité sociale, avec les manifestations dans la rue contre la réforme des retraites, lui confère une dimension très contemporaine sur un sujet – le monde ouvrier – qui tend à disparaître en raison de la désindustrialisation en France. Mathias Gokalp montre que, côté films, la lutte continue.
La fiche
Genre : Drame politique
Réalisateur : Mathias Gokalp
Acteurs : Swann Arlaud, Mélanie Thierry, Denis Podalydès, Olivier Gourmet, Lorenzo Lefebvre, Malek Lamraoui
Pays : France
Durée : 1h57
Sortie : 5 avril 2023
Distributeur : Le Pacte
Synopsis : Adaptation du roman éponyme de Robert Linhart. Quelques mois après mai 68, Robert, normalien et militant d’extrême-gauche, décide de se faire embaucher chez Citroën en tant que travailleur à la chaîne. Comme d’autres de ses camarades, il veut s’infiltrer en usine pour raviver le feu révolutionnaire, mais la majorité des ouvriers ne veut plus entendre parler de politique. Quand Citroën décide de se rembourser des accords de Grenelle en exigeant des ouvriers qu’ils travaillent 3 heures supplémentaires par semaine à titre gracieux, Robert et quelques autres entrevoient alors la possibilité d’un mouvement social.